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Valeur sociale des services collectifs d’intérêt général européens - François Fourquet

Publié par , le 14 mars 2007.





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Comment apprécier la valeur des services collectifs européens, les services d’intérêt général ? Pour réfléchir à ce problème, je propose un dé-tour par ce que j’appelle une "théorie de la valeur sociale", une théorie politique de la valeur. En effet, quel que soit notre domaine d’activité, nous produisons, outre le bien ou le service officiel pour lequel nous sommes rémunérés, une multiplicité de valeurs externes que la théorie économique a identifié sous le nom d’"effets externes". Le prix des biens (sur le marché) ou le coût (des services non marchands) n’enregistre qu’une mince partie de la valeur ou du coût réels pour la société ; nous travaillons tous, sans toujours en être conscients, à pro-duire un bien collectif supérieur, la société elle-même. Mais quelle société ? Ici, la société européenne. Mais existe-t-elle ?

Mon parcours antérieur m’a conduit à privilégier une société plus large que celle à laquelle, prisonniers de nos cadres mentaux, nous pensons spontanément, à savoir la société nationale coiffée par un État. Le cadre d’analyse pertinent n’est pas la nation, mais la civilisation. L’Europe est-elle une civilisation spécifique ? L’histoire nous apprend que sa formation a été entièrement extra-déterminée. Elle est née des ruines de l’empire romain qui, en élevant le christianisme à la dignité d’une religion d’État, a indirectement suscité l’Islam, lequel, en conquérant le pourtour de la Méditerranée, a à son tour provoqué la formation, au nord de l’Europe, d’un pôle de développement où fusionnèrent la civilisation romaine et la civilisation germanique, prodigieux creuset d’où est sortie la Chrétienté, autrement dit la société européenne ; et pourtant à l’époque il n’y avait pas encore d’État, ni de nation ! Cette société suscita la convoitise de prétendants, papes romains et empereurs germaniques, qui rêvaient de ressusciter l’empire romain. Ils échouèrent, tous. Cette absence d’autorité politique et/ou religieuse unique sur une Europe pourtant unifiée par la religion explique l’apparition des États-nations et du capitalisme, c’est-à-dire d’une économie-monde dont l’extension couvrait à peu près l’aire de la civilisation européenne.

L’Europe s’est institutionnalisée au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsque les États-Unis sont venus à son secours sous la condition qu’elle crée un organisme de coopération. Le plan Marshall était une pièce maîtresse de la guerre froide : sauver l’Europe du communisme, la reconstruire, intégrer l’Allemagne, ce-pendant qu’à l’extrême Est on restaurait le Japon et on nourrissait les futurs dragons et tigres. L’Europe communautaire est née dans un climat de déclin irréversible. Pourtant, les partenaires de l’Europe en voie d’institution sont des entités collectives, des quasi-sujets nationaux qui, tout en voulant l’Europe pour en tirer un surplus de puissance commune, ne sont pas prêts à se suicider pour se fondre dans un ensemble plus vaste. Ils veulent bien renoncer à certains attributs de souveraineté à condition de récupérer leur mise dans le jeu interne des rapports de forces. Ainsi s’explique la lenteur et la médiocrité des compromis, mais aussi leur solidité. Pire, la présence des États-Unis d’Amérique sous la table de négociation, ou directement derrière l’épaule de l’Angleterre, volatilise le fantasme d’une société européenne cohérente et autonome. Il n’est pas certain que tous la veuillent vraiment ; sinon, il y a longtemps que la Communauté se serait dotée des services publics dont l’accumulation aurait graduellement construit une forme d’État européen. Nous pouvons en rêver, mais devons savoir que dans l’histoire l’État s’est créé d’abord comme instrument de défense et d’offensive contre les ennemis extérieurs, à savoir les autres États-nations en formation sur l’arène internationale. Or l’Europe communautaire n’a pas d’ennemi. Et de toute façon, sa seule défense militaire crédible, c’est le parapluie nucléaire américain.

Par rapport à cet enjeu, il se pourrait que la critique de l’idéologie libérale qui imprègne l’institution européenne soit à côté de la plaque. Le libéralisme affiché depuis le traité de Rome par les pères fondateurs est avant tout une arme de guerre contre les protectionnistes nationaux. Les bureaucrates européens ne seraient-ils pas, au fond, des militants de l’Europe ? N’est-ce pas eux qui, comme le fit Delors avec le plan de relance keynésien et la charte européenne des droits sociaux, proposent sans arrêt des initiatives destinées à réaliser la société européenne par le social et pas seulement par la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux ?

LISTE DES THEMES DEBATTUS

1) Existe t-il une société européenne ?

La société européenne existait avant les sociétés nationales. Le tout existait avant les parties et les parties se sont constituées à l’intérieur de ce tout. Ce qui est important c’est la notion de civilisation, c’est-à-dire des ensembles à la fois économiques, matériels, institutionnels, culturels, artistiques, repérables par rapport à d’autres civilisations. Cette notion de civilisation est l’unité de travail pertinente, contrairement à l’État-nation. Mais cette civilisation européenne déborde aujourd’hui l’Europe et se retrouve au moins autant aux États-Unis. On parle souvent de la protection sociale comme d’un modèle européen, pour l’opposer justement à la société américaine. Mais la protection sociale s’est construite à l’intérieur des États-nation, dans le cadre des affrontements entre ces États. Les services collectifs se sont formés pour augmenter la valeur puissance de chaque État. De ce point de vue il y aura une société européenne le jour où l’Europe commencera à bâtir des services collectifs pour affirmer sa puissance sur l’arène internationale contre un autre ensemble civilisationnel menaçant. Or aujourd’hui l’Europe n’a pas d’ennemi extérieur.
La question aujourd’hui est de savoir si le processus de mondialisation n’est pas bien plus prégnant et actif que le processus d’Européanisation ?

2) La classe administrative européenne

Elle est peu nombreuse : 10 000, 30 000 si l’on compte les interprètes. Elle milite pour l’Europe et elle se sert du libéralisme pour faire tomber les forteresses nationales. Il faut aussi prendre en compte les administratifs des différents pays qui passent une bonne partie de leur temps à Bruxelles, il y a là une porosité grâce à des contacts permanents dus à de fréquents allées et retours

3) La valeur économique

Celle-ci est certes importante mais il est bien d’examiner la valeur sociale, il existe en effet dans la société des activités socialement utiles qui ne sont pas faites par une entreprise et qui ne sont pas chiffrables en valeur économique mais qui permettent de faire le liant dans la société.

4) La société civile

Le cas du syndicalisme est intéressant : il existait après guerre des centrales syndicales nationales affiliées à des fédérations mondiales. Toutes cers fédérations mondiales ont éclaté, alors que s’est bâtie la Confédération européenne des syndicats. Dans cet exemple l’Europe a remplacé la mondialisation. A côté des syndicats on peut ranger les associations, les PME, le tiers secteurs comme composantes de la société civile, mais il faut en exclure les grandes entreprises trop proches du pouvoir.

5) Mondialisation et appartenance locale

En même temps que se développe la mondialisation de micro-nationalismes émergent. Chaque individu appartient à plusieurs échelons territoriaux à la fois et l’existence d’intermédiaires est nécessaire pour s’inscrire dans la mondialisation. De ce point de vue la notion de territoire reste tout à fait essentielle.`

6) Le mouvement importe plus que l’état des faits

Si la société européenne n’existe pas aujourd’hui, il faut voir ce qui est en train de se construire, où nous en étions au moment du traité de Rome et où nous en sommes maintenant. L’intégration progresse lentement, certes, il n’existe pas par exemple de service public européen, mais rien ne permet de dire aujourd’hui qu’il n’en existera pas. Si le service public s’est formé sur la base de l’existence de menaces externes, il ne faut pas oublier qu’il y a eu également le besoin de pacification interne des sociétés

7) La lutte contre la pauvreté

Il faut s’attaquer aux causes, les politiques gouvernementales sont toujours ex-post. On ne peut se satisfaire d’une Europe comprenant 55 millions de pauvres.

8) Rôle de la bureaucratie et adhésion populaire

C’est vrai que l’idée européenne est plus porté par des "technocrates" que par des grandes masses populaires qui descendraient par millions dans la rue pour demander que l’Europe se construise. Il faut toutefois noter qu’historique-ment cela s’est toujours passé comme cela ; ce sont les États qui ont formé les nations plutôt que l’inverse.

9) Pourquoi l’Europe ?

Faut-il pour s’opposer à un impérialisme qui dicte un peu trop souvent sa loi construire un autre impérialisme ? Ce ne peut être un idéal. Donc non seulement il faut se demander si la construction de l’Europe est possible, mais encore faut-il savoir quelle Europe nous voulons ?

10) Deux théories du service public

Les services publics existent également aux États-Unis ; la différence avec les services publics européens c’est qu’ ils sont gratuits, le résultat en est l’émergence de d’un certain nombre de grandes entreprises privées dont l’accumula-tion primitive est d’autant plus aisée que les prestations qui leur sont fournies sont gratuites. En Europe (continen-tale) les services publics font payer leurs prestations (géologie, cartographie, météo…) ce qui rend l’émergence de sociétés privées plus difficile, du coup cela laisse un espace pour les entreprises publiques pour investir de nouveaux marchés et bâtir une spécificité européenne : l’économie mixte. Par exemple aux États-Unis il n’y a pas de redevance pour le contrôle aérien alors que cela existe en Europe, cela permet un dynamisme de ce service public.

par François Fourquet