AITEC
Bouton menu

Les multinationales du pétrole en Afrique - 1999

Publié par , le 14 mars 1999.

Séminaire organisé par l’AITEC, le GRESEA et IRENE, 17 et 18 mai 1999





Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

OBJECTIFS DU SEMINAIRE

Le séminaire avait comme triple objectif
• de dresser le réquisitoire en termes de violations des droits des peuples imputables aux multinationales du pétrole en Afrique ;
• de dégager les moyens techniques et juridiques utilisables à l’avenir pour les contraindre à modifier leur comportement ;
• de réfléchir à l’élaboration d’actions de mobilisation citoyenne.

De surcroît, le séminaire souhaitait servir de cadre de réflexion aux travaux du Tribunal Permanent des Peuples, tenu de se prononcer, à la fin de cette même semaine, sur les activités d’Elf en Afrique suite à une plainte déposée par le collectif Collectif « Elf ne doit pas faire la loi en Afrique »

INTRODUCTION

Après une brève présentation des différents participants, Gustave Massiah a rappelé l’action du Tribunal Permanent des Peuples.

Le Tribunal Permanent des Peuples est une institution internationale créée en 1979, par diverses personnalités, essentiellement européennes. Elle succédait au Tribunal Russel (fondé par Bertrand Russel) amené à se prononcer en son temps sur la situation au Vietnam et en Amérique latine.

Le Tribunal Permanent des Peuples se réfère à la Déclaration Universelle du Droit des Peuples adoptée à Alger en 1976. Ce document se fonde sur deux propositions :

1- L’importance historique du droit des peuples à l’autodétermination politique. L’article 8 précise que « tout peuple à un droit exclusif sur ses richesses et ses ressources naturelles. Il a le droit de les récupérer s’il en a été spolié ainsi que de recouvrer les indemnisations injustement payées ».

2- Le droit à l’autodétermination interne, c’est-à-dire le droit pour tous les peuples de vivre en régime démocratique.

Le Tribunal examine de façon publique et contradictoire les arguments qui lui sont présentés et émet une sentence ou un avis (suivant qu’il travaille en session ou en commission). Il appartient ensuite aux associations citoyennes de se saisir de cette sentence pour faire reconnaître leurs exigences (droits). Le Tribunal estime en effet que « c’est en luttant pour leurs droits que les individus construisent leur pouvoir ». Cette position est aussi due à la nature même de l’institution. Privée d’un corps de police ou de Gendarmerie habilité à faire respecter ses décisions, elle se définit comme un tribunal « d’opinion et non de pouvoir ».

Dans un premier temps, le Tribunal Permanent des Peuples s’est réuni à la demande des mouvements de libération (Palestiniens, Kurdes, Arméniens... ) et a tenu une vingtaine de sessions.
Après 1986, il a élargi le champ de sa réflexion et s’est particulièrement intéressé au problème de l’impunité en Amérique latine. Il a ainsi largement contribué, avec d’autres associations à la prise en considération de cette notion par le Droit international. Le tribunal a aussi débattu du cas du FMI et de la Banque mondiale, de l’Amazonie et de Bhopal, montrant, ces dernières années, un intérêt croissant pour l’action des multinationales dans le monde. Le Tribunal Permanent des Peuples et la Ligue internationale pour le droit des Peuples qui lui est associée entendent d’ailleurs consacrer l’essentiel de leurs prochaines réunions à cette problématique et aux possibilités qu’offre le Droit international d’infléchir le comportement des transnationales. Le séminaire s’inscrit dans cette action et s’est tout particulièrement intéressé aux compagnies, pétrolières internationales.

ANALYSE DE LA SITUATION ECONOMIQUE ET POLITIQUE DES PAYS AFRICAINS PRODUCTEURS DE PETROLE

1- ANALYSE GENERALE DU CONTEXTE AFRICAIN

Bruno Carton, chercheur au GRESEA, a présenté le dossier de travail réalisé au GRESEA, intitulé « Le pétrole en Afrique : la violence faite aux peuples », dont il a synthétisé les différentes parties.

A- La tyrannie de l’économie pétrolière

Selon le classement des Nations unies, le Nigeria et l’Angola, les deux principaux producteurs africains de pétrole se trouvent actuellement au rang des nations les plus pauvres, plus précisément les plus appauvries par trois décennies d’exploitation pétrolière. Au Nigeria, le PNB/hab était de 1000 $, en 1970. Il n’était plus que de 320 $ en 1996.
L’ensemble des Etats rentiers (qu’ils exploitent du pétrole ou une autre ressource naturelle) présentent des caractéristiques communes. Vivant exclusivement de la rente et de sa redistribution, ils peuvent se permettre, par exemple :
– de ne pas établir de relations avec les acteurs économiques et sociaux,
– de ne pas développer une production propre dans d’autres secteurs.
Ils jouissent donc d’une très grande autonomie par rapport à leur population, puisqu’ils sont capables de fonctionner et de renforcer leurs services sans recourir à l’impôt. L’essentiel du jeu économique et socio-politique consiste dès lors à s’approprier les fruits de la rente et à déterminer quel est le groupe qui en bénéficiera le plus largement au détriment du reste de la population. Face à cette situation, on assiste ces vingt dernières années à une radicalisation des demandes liées à la redistribution de la manne pétrolière. Les troubles se sont multipliés et sont de plus en plus violents (voir la situation au Nigéria, au Congo... ), opposant tantôt des communautés ethniques entre elles, tantôt face à l’Etat, tantôt face aux multinationales.

Comment les pays africains affectent-ils la rente ? Plusieurs modèles ont coexisté.
• Au Nigeria : « le modèle d’investissement de la rente » dans les secteurs industriels soutenus par le pétrole (raffinerie, sidérurgie, ... ) prédomine. La manne pétrolière fait aussi l’objet d’une consommation par les élites urbaines et de placements à l’étranger (fuites des capitaux).
• Au Congo : « Le modèle de consommation de la rente » par les élites prédomine. La manne pétrolière sert aussi à l’entretien d’entreprises publiques qui régulent le chômage. La fuite des capitaux est importante.
• Au Cameroun : « Le modèle de l’épargne » occupe la première place. Pendant vingt ans, les revenus du pétrole n’ont pas été budgétisés car il fallait, selon le gouvernement « mettre de l’argent de côté pour préparer l’avenir » (fuites massives de capitaux).

Si l’emploi de la rente est différent selon les pays, deux utilisations de cette manne sont communes à tous les états analysés.
– La rente nourrit la rente : les capitaux engrangés grâce à l’extraction du pétrole servent à entretenir « l’appareil de capture » de la rente.
– La rente alimente la dette : Les Etats pétroliers font partie des Etats les plus endettés d’Afrique. Pour « remédier » à cette situation, ils ont dû accepter des plans d’ajustement structurel entraînant par exemple des dévaluations massives, une libéralisation du commerce et la privatisation d’une grande partie des entreprises publiques ou parapubliques. Ces politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale, n’ont pas eu les résultats escomptée (aggravation de l’endettement). De plus, elles ont mis en évidence I’existence d’un phénomène de privatisation de l’économie bien avant l’imposition des plans d’ajustement. La plupart des entreprises d’Etat appartenaient à des proches du pouvoir qui les ont ensuite « officiellement » acquises. Ces acquisitions ont favorisé la corruption. Ces firmes servaient et servent souvent de paravent à des activités illicites (blanchiment d’argent, répartition des licences d’exportation...).

Dans leurs activités en Afrique, les multinationales du pétrole illustrent clairement un processus de socialisation des pertes et de privatisation et capitalisation des profits.
Profitant des faiblesses des réglementations sociales, environnementales et économiques (notamment sur le partage des bénéfices), réglementations qu’elles ont d’ailleurs soin d’influer, les multinationales du pétrole peuvent se permettre différents comportements :
• n’appliquer aucun des standards requis dans les pays industrialisés quant aux technologies utilisées et aux mesures d’impact sur l’environnement ;
• échapper aux obligations de provisionner des fonds pour indemniser les populations victimes en cas d’accidents industriels ;
• renvoyer constamment les responsabilités du privé vers le public, des compagnies pétrolières vers les Etats Africains (comme l’illustre le projet du consortium Esso, Shell, et Elf au Tchad et au Cameroun).

B- Le prix du pétrole

L’histoire du prix du pétrole est l’histoire d’un rapport Nord-Sud, ajusté par les Etats-Unis. Si dans les années ‘60, les membres de l’OPEP ont pu imposer une revalorisation du prix du baril, c’est que cette exigence rencontrait les intérêts stratégiques de Washington, à savoir limiter les importations américaines d’or noir et protéger les investissements déjà engagés en Alaska.
Dans les années ’80, les contre-chocs pétroliers correspondaient eux aussi à l’expression d’un revirement de la politique énergétique américaine : la sécurité des approvisionnements ne passant plus par une augmentation de la production nationale, mais par la signature d’accords bilatéraux avec certains pays (Venezuela ... ) et par un contrôle politique et militaire renforcé des principales réserves de production. Les prix ont chuté.
La présence des Etats-Unis en Afrique allait s’accroître dans les années ’90, avec l’arrivée des « majors » pétroliers américains dans le Golfe de Guinée.
Les deux chocs pétroliers (73-74 et 79-82) ont quant à eux permis aux multinationales de rentabiliser un pétrole jusqu’alors fort cher, celui de la Mer du Nord ou de l’Alaska. Les firmes internationales ont ainsi progressivement acquis l’avantage technologique qui allait leur permettre de s’imposer en Afrique, au début des années ’90. Les nations productrices, elles, perdaient l’avantage que leur avait concédé la récupération de la propriété foncière de leurs champs pétroliers (mouvements de décolonisation et de nationalisation).

C- Restructuration du secteur pétrolier dans les années 1990

En Afrique, on assiste à un retour en force des compagnies dans les activités de prospection et d’exploitation. Quelques chiffres reflètent leur « engouement » pour le continent noir, illustrant ce que le CODESRIA à Dakar appelle l’insertion rentière de l’Afrique dans la mondialisation. En 1997,. l’Afrique représentait 14% des exportations mondiales de pétrole brut. De 1987 à 1997, ces exportations ont augmenté de 43% alors que la moyenne mondiale se situait autour des 17%.
Aux dires des pétroliers eux-mêmes, l’Afrique sera dans les dix, vingt prochaines années « le champ de bataille le plus chaud, dans la répartition des nouveaux marchés pétroliers ». D’autant plus que les coûts de production y sont très bas et que les sociétés pétrolières peuvent espérer les faire encore baisser, grâce à l’utilisation massive d’une technologie de pointe. Cette insertion rentière de l’Afrique dans la mondialisation ne se passe pas sans conflits portant sur la redistribution de la rente ou le modèle de (non) développement qu’elle impose.

En effet, on assiste à une multiplication et à une radicalisation des troubles dans plusieurs pays (Nigeria, Congo...). Question ouverte : la concurrence féroce que se livrent les Français et les Américains dans la « course aux gisements » offre-t-elle une chance aux Etats africains de multiplier le nombre de leurs partenaires et de ne plus se retrouver seuls face une compagnie omnipuissante et omniprésente (Shell, Elf...) ?

Actuellement, le rapport de force entre pays producteurs africains et compagnies pétrolières internationales reste toujours favorable à ces dernières car :
• la situation d’endettement des Etats africains les oblige à recourir à la technologie et aux capitaux étrangers (voir Algérie, Congo...) ;
• les groupes pétroliers américains et européens ont, depuis les années 1980, fortement diversifié leurs investissements en Afrique vers les minerais énergétiques comme l’uranium et non énergétiques comme le cuivre. L’exploitation des gisements miniers et pétroliers se réalise de plus en plus en consortium, alliances stratégiques momentanées associant des concurrents aux portefeuilles d’activités diversifiées. Par cette nouvelle forme de concentration intersectorielle, les multinationales ont acquis dans les négociations une capacité « d’encercler » les Etats, à la merci de la rente qui leur est servie.

Une des questions qui se pose maintenant est de savoir si l’évolution des formes juridiques des contrats (abandon du système des joint-ventures au profit de contrats de partage de production) va permettre aux pays producteurs africains de se libérer de la tyrannie pétrolière et d’investir dans de nouveaux champs d’activité (agriculture, produits manufacturés...).

En ce qui concerne l’impact des activités des multinationales du pétrole en Afrique sur les résistances populaires, les constats sont aigus. On assiste à :
• un muselage de l’acteur syndical en Afrique (comme l’illustrent les lois de pouvoirs spéciaux contre les syndicats au Nigeria au milieu des années 1990) ;
• une privatisation de l’Etat. Au Nigeria, les manifestations contre Shell ont été réprimées par des policiers équipés (armes, voitures...) par la compagnie pétrolière ;
• une privatisation des normes environnementales. Le président du groupe de réflexion « Vision 2000 » qui étudie les orientations futures de l’industrie pétrolière au Nigeria est un ancien PDG de Shell-Nigeria.

D- Les stratégie de résistances au Sud et au Nord

• Au Sud : les résistances populaires sont multiples. Citons par exemple les résistances paysannes qui luttent pour une reconnaissance de leurs droits sur les terres ou pour une indemnisation de leur outil de travail quand celui-ci est dévasté par l’activité pétrolière... Ces luttes ont engrangé quelques succès face aux « stratégie de division » (à l’intérieur et entre les communautés) développées par les multinationales.
Dans le Delta du Niger au Nigeria, dans le bassin de Doba au Tchad, des coalitions de mouvements paysans, associations écologistes, groupes de citoyens mobilisés contre les politiques d’ajustement structurel imposées pour s’acquitter de la dette, s’unifient sur la revendication d’un « moratoire » quant à la poursuite des activités pétrolières. Ce moratoire devrait permettre aux peuples de redéfinir souverainement la place du pétrole dans le développement et les conditions imposées aux firmes privées pour son exploitation.

• Au Nord : l’appui apporté par les organisations du Nord aux divers mouvements du Sud sont de trois types
– expertises et contre-expertises ;
– achats d’actions de transnationales par des groupes progressistes ; cette approche est très utilisée au Canada et aux Etats-Unis. Elle permet de participer aux AG’s des groupes et d’essayer un « contrôle » sur ses orientations futures
– les codes de conduite.
Ce dernier type d’appui est-il crédible lorsque l’on sait
– que les majors de l’industrie pétrolière continuent de museler l’acteur syndical et de contourner les conventions collectives ;
– que ces codes de conduite servent souvent de paravent à des activités qui restent éminemment destructrices ;
– que les sociétés internationales se sont systématiquement opposées aux travaux de la CNUCED en vue de rédiger « un code de conduite sur les transnationales » ;
– que l’intervention des ONG dans la rédaction de ces codes traduit peut-être une tentative de noyautage des associations citoyennes par les multinationales.

Ce premier cadrage des impacts de l’exploitation pétrolière en Afrique, dressé par le GRESEA, fut enrichi par différents apports, dont celui de Ben Hammouda Hakim du CODESRIA à Dakar.

Le Nigeria apparaît comme un cas à part, un cas extrême de conflictualité, de face à face direct entre mouvements sociaux et multinationales. Il est néanmoins intéressant de l’analyser car il préfigure peut-être l’abîme de violence et de misère dans lequel pourraient sombrer les autres pays africains.

Les politiques d’ajustement structurel ont essayé de développer de nouveaux secteurs d’insertion économique dans les pays africains. Il y a eu entre autre la constitution de zones franches dans des pays comme le Burundi, le Sénégal... Aujourd’hui, elles sont vides de toute activité. Face à cette situation, l’insertion de l’Afrique au sein de l’économie mondiale ne peut-elle se faire que par l’exploitation de ses ressources minières, pétrolières... ?
Néanmoins des études menées sur l’imposition et la fiscalité montrent la volonté des pays africains de se trouver de nouvelles sources de revenus (autres que la rente). Ce changement est intéressant puisqu’il va incontestablement modifier les rapports entre le pouvoir et la société civile. Cette dernière peut en effet se montrer plus exigeante vis-à-vis d’un Etat qui se finance grâce aux impôts qu’elle lui verse. Les gouvernements sont donc de plus en plus amenés à composer avec leur population. L’avenir des luttes sociales en Afrique n’est pas « si noir ».

L’échec des politiques d’ajustement structurel nous oblige à réfléchir sur les nouvelles façons de concevoir le développement en Afrique. Il nous contraint à préciser le cadre d’un nouveau partenariat avec les pays du Sud.

R. Benhaïm du CEDETIM ajoute à l’analyse que la situation au Nigeria lui semble refléter un modèle frontal d’affrontement, sans médiation de l’Etat, entre les peuples et les multinationales.
Dans des pays comme l’Algérie ou le Congo, le processus a été différent : la question a été posée au milieu des années quatre-vingt d’un modèle autre d’industrialisation. Faute de pouvoir articuler cette question à celle de la constitution d’une bourgeoisie nationale, la non-résolution de ces questions a conduit à des états de « guerres civiles ».

2- LE POIDS DES MUITINATIONALES EN AFRIQUE, LE Rà?LE DE L’OPEP ET LA NOTION D’ETAT

Face à la multiplicité des interventions et des questions posées par les participants, Bruno Carton et Gustave Massiah ont apporté quelques compléments d’information, transmis sous la forme d’un dialogue orchestré par René De Schutter.

A. Au point de départ, une première question : « Doit-on considérer l’Afrique pétrolière comme un tout indifférencié ou comme une mosaïque d’Etats établissant chacun des rapports particuliers avec « ses » multinationales ?

Bruno Carton
Durant la période de mise en exploitation du pétrole africain, différentes situations sont apparrues.
• Au Nigeria : la compagnie pétrolière nigériane a réussi à conserver 55% à 60% des parts dans tous les consortiums pétroliers avec les multinationales du pétrole. Le pays reste néanmoins marqué par la domination de Shell qui monopolise 50% de la production pétrolière. L’autre moitié est assurée par des compagnies américaines, européennes... (priorité à la diversité des partenaires).
• Au Congo, au Gabon et au Cameroun : la situation est très différente. Elf est omniprésent dans ces trois pays et contrôlait jusqu’au début des années ’90, les 2/3 de leur production pétrolière.
• En Angola : le pays a tenté de s’opposer à l’ouverture de son domaine pétrolier, aux compagnies étrangères, mais les ravages de la guerre d’agression entretenue par l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid et les Etats-Unis et la destruction progressive de son économie (destruction des plantations de café ... ) l’ont contraint à accepter sa mise sous tutelle.

Gustave Massiah
Pour éclairer le débat sur le type de relations qu’établissent les pays producteurs de pétrole et les compagnies pétrolières, il faut aborder en quelques mots, l’histoire de l’OPEP.
L’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole naît en 1960. Elle poursuit deux objectifs : s’approprier le pouvoir de décision en ce qui concerne l’exploitation des gisements pétroliers et maîtriser le niveau des prix pour assurer le décollage économique des pays membres. Cette tentative se solde par un échec provoqué par une double rupture :
– entre les pays producteurs et les pays non-producteurs (solidarité N/S) ;
– entre les différents membres de l’OPEP, certains mettant l’accent sur les revendications politiques (Algérie), et d’autres sur une amélioration du prix du baril (Iran, Arabie Saoudite). Au début des années ’80, le deuxième groupe l’emporte.
L’échec du front pétrolier et l’intégration des pays producteurs dans l’économie d’endettement ont entraîné la transformation de ces pays en « comptoirs » dans des convergences régressives traduisant un retour au rapport colonial. Le financement des économies des pays de l’OPEP se joue pour certains pays par les bons du Trésor des USA, pour les autres par l’intégration dans l’économie d’endettement.

Bruno Carton
Entre les Etats du Moyen-Orient qui exploitent eux-mêmes leur pétrole et les pays africains qui subissent la présence des multinationales, il existe un point commun. Aucun de ces pays n’a besoin de sa société civile pour fonctionner Les problèmes qui se posent à ces pays ne sont pas d’abord des problème de production mais des problèmes de répartition. Il leur faut choisir les groupes sociaux qui bénéficient de la redistribution de la rente.
Depuis dix ans, des changements sont intervenus. Les détenteurs de la rente ont compris que l’ouverture du champ politique à de nouvelles forces sociales signifiait leur disparition à terme. Ils se cramponnent donc au pouvoir. Cette « crispation de type féodal » renforcée par l’échec des plans d’ajustement structurel (perte par les Etats de leur pouvoir d’arbitrage) et la baisse des revenus pétroliers (perte par les Etats de leur légitimité) a provoqué une explosion des conflits, partout en Afrique, Cette violence s’accompagne aussi d’une remise en cause, des investissements des Etats dans le secteur pétrolier. Ainsi, au Tchad et au Cameroun, la population se demande s’il est utile d’investir des millions dans la construction d’un pipeline qui ne permettra la création que de quelques centaines d’emplois et renforcera l’endettement de la Nation. L’urgence est peut-être ailleurs.
Face à cette situation, ne devrions-nous pas réfléchir à la possibilité dans les pays riches d’un « désarmement pétrolier » (sources d’énergie alternatives, économies d’énergie, ... ) afin d’aider ces pays à sortir de la tyrannie pétrolière

B- Malgré ce constat négatif, peut-on envisager une « gestion social-démocrate de la rente » ?

Gustave Massiah
Des efforts ont été faits dans ce sens. Dans les années ’60, plusieurs pays (Iran, Equateur, Algérie...) ont tenté de redistribuer la rente pour permettre leur propre industrialisation et la constitution en leur sein de bases sociales solides. Ces régimes ne se disaient pas sociaux-démocrates mais révolutionnaires. Ces tentatives ont échoué. Quand la redistribution a eu lieu, elle s’est concentrée sur des bases sociales trop étroites (élites urbaines et fonctionnaires). De surcroît, d’acteurs (par la récupération de la propriété foncière de leurs gisements), ces Etats sont devenus demandeurs (d’équipements et de capitaux étrangers) accroissant sans cesse leur dépendance vis-à-vis de l’étranger.

Bruno Carton
Pour certains chercheurs, l’Etat rentier est un obstacle au développement car il s’oppose à l’émergence de couches sociales favorables au changement. Parler, dans ce contexte, de gestion social-démocrate serait un non-sens. Cette gestion ne serait envisageable que si un espace de débat se construit entre l’Etat, ceux qui l’ont approprié et les différents acteurs collectifs.

C- Bruno Carton et Gustave Massiah ont parlé de l’Etat dans les pays africains rentiers du pétrole. Quelles réalités ce concept recouvre-t-il ?

Bruno Carton se demande si l’Etat dans les pays d’Afrique pétrolière n’a pas pratiquement disparu, ; il y a dans le chef des multinationales la volonté de le privatiser et donc de le cadenasser. Les Etats africains avaient déjà perdu une grande partie de leurs prérogatives avec la mise en place des plans d’ajustement structurel, les compagnies pétrolières rognent ce qu’il reste de ce pouvoir (c’est Shell qui s’est chargé de fournir des armes à l’armée nigériane pour réprimer des manifestations organisées sur ses sites pétroliers). Les régimes en place sur lesquels s’appuient les compagnies pétrolières ont participé à une banalisation et à un affaiblissement des Etats en Afrique et de leur possibilité de construire un cadre législatif et fiscal. Plusieurs participants partagent cette vision des choses. Pour Paul Heutching, l’Etat africain n’existe pas et, s’il existe, il n’assume plus qu’un seul rôle : celui de réprimer toute forme de contestation. Il y a eu une perversion de la fonction d’Etat. Gustave Massiah estime, pour sa part, stratégique de maintenir dans les analyses qu’on fait l’existence de l’Etat. Cette position présente un triple intérêt, celui de pouvoir penser :
– que les « responsabilités » de la situation actuelle ne sont pas qu’extérieures mais qu’elles sont aussi le fruit de contradictions internes ; les Etats ont des autonomies et des histoires contradictoires ;
– que les populations ont la possibilité de changer les choses, en se battant ;
– redonner un sens à l’Etat, c’est la possibilité de mettre en débat des propositions économiques alternatives.
Pour Patrice Yengo, la pérennité d’Etats corrompus et sanguinaires s’explique par la désagrégation du tissu social africain qui empêche la constitution de mouvements de résistance (voir infra). L’Afrique connaît des leurres d’Etat, bâtis sur la destruction de tout lien social. C’est parce que les liens sociaux, les passerelles ont été détruites que les politiques économiques de prédation ont pu être appliquées.

ANALYSE DES OUTILS JURIDIQUES DISPONIBLES POUR FONDER EN DROIT LES RESPONSABILITES DES MULTINATIONALES DU PETROLE

1- LES CODES DE CONDUITE

Sam Zarifi est avocat. Il travaille actuellement aux Pays-Bas. Le problème pour Sam Zarifi n’est pas de lutter pour la disparition des multinationales - car comme lui disait un ami « Pour les africains, ce qui est pire que d’avoir une multinationale sur son territoire, c’est de ne pas en avoir du tout » - mais de réguler leurs comportements. Or, les codes de conduite ne sont pas, selon Mr Zarifi, les meilleurs outils pour s’acquitter de cette tâche. Pourquoi ?

A- Les codes de conduite sont inefficaces

Cette inefficacité est à relier :
– Ã  un « changement de contexte » : le débat sur les codes de conduite est assez ancien, puisqu’il date des années ’70. A cette époque, un mouvement en faveur d’un Nouvel Ordre Economique International a provoqué l’élaboration de nombreux codes de conduite, très différents de ceux que nous connaissons actuellement. Ils étaient conçus dans les pays industrialisés et s’attaquaient à des pratiques financières, répandues chez nous, comme la constitution de trusts et la corruption. Ces problèmes étaient « plus simples » à traiter, parce qu’ils nous « concernaient directement ». Maintenant il s’agit d’affronter d’autres types d’infractions (violations de droits de l’Homme...), dans des pays qui sont très éloignés (Afrique, Amérique latine...).
– Ã  une divergence entre les objectifs des uns et des autres :
* pour les multinationales, le code de conduite n’est qu’une technique de communication utilisée les managers pour « redorer » le blason de leur société et non pas, comme le souhaiteraient les associations citoyennes, le cadre à un « assainissement » de leurs activités.
* plus que le respect de normes environnementales et des droits humains, c’est l’accumulation des bénéfices qui intéresse les firmes internationales.
– Ã  une « inadéquation » entre les textes et la réalité du terrain : la personne qui a rédigé les codes de conduite que Shell s’est engagé à respecter n’a jamais mis les pieds sur un champ pétrolier.
– Ã  une absence de contrainte : lorsqu’un manager signe un code de conduite, il n’est pas tenu de le respecter. Ce qui fait dire à Sam Zarifi que seuls les procès sont efficaces, car ils touchent les transnationales dans « ce qu’elles ont de plus précieux : leur argent ».
– Ã  une absence de volonté de faire appliquer les codes sur le terrain : aux yeux des juristes, un code de conduite unanimement appliqué prend force de loi avec tout ce que cela suppose de contraintes (pour le respecter) ou de problèmes (s’il est bafoué) pour les multinationales. On comprend dès lors que les managers ne poussent pas au respect des codes sur leurs différents sites d’exploitation.
– Ã  une absence de contrôle de l’application des codes : chaque année, des audits sont réalisés dans les multinationales pour vérifier leur comptabilité. En cas de fraude, ils sont lourdement sanctionnés. Un tel contrôle n’existe pas en ce qui concerne le respect ou le non-respect des codes de conduite par les transnationales. A l’heure actuelle, une seule entreprise a été autorisée à réaliser ce type d’enquête. Il s’agit de KPMG, sollicitée par Shell pour un audit sur l’application de son code de conduite. Ses auditeurs ont visité 180 sites d’exploitation en 15 jours. On a du mal à croire qu’ils aient pu faire un travail de qualité. Même si c’était le cas, personne ne peut vérifier leurs conclusions (black-out total).

B. Les codes de conduite sont dangereux

La rédaction des codes de conduite se fait en partenariat avec des ONG. Ces « associations » entre multinationales et associations citoyennes sont, selon Sam Zarifi, dangereuses. Elles donnent l’impression aux ONG de maîtriser la situation, de pouvoir réellement contrôler les activités des transnationales. Mais c’est totalement faux puisque les sociétés continuent d’agir en toute impunité. La crédibilité des associations citoyennes pourrait souffrir de « cette absence de résultats ».
Pour Sam Zarifi, les codes de conduite ne présentent qu’un seul avantage : ils permettent au grand public (souvent par leur non-respect) de prendre conscience du comportement des multinationales dans le monde. Ils facilitent les processus de sensibilisation et de mobilisation de la société civile.

C. Les réactions à l’exposé de Sam Zarifi

Les participants ont pris la parole soit pour compléter, nuancer ou partager l’avis exprimé par Sam Zarifi sur les codes de conduite.

Pour compléter

René De Schutter
– En Belgique, il est très difficile de poursuivre au pénal une personne morale (entreprise). Car, dans un grand nombre de cas, il faut pouvoir déterminer qui a commis la faute (administrateur, ouvrier...). Or ce n’est pas toujours simple à faire. Il y a là un véritable problème dont il faut être conscient lorsque l’on élabore des stratégies d’action contre les multinationales.
– Dans le cadre de la « Campagne Vêtements propres », nous avons exigé que le contrôle des codes sur le terrain soit fait par des ressortissants du pays (syndicalistes, associations de consommateurs...) dans lequel la multinationale exerce son activité. Nous évitons ainsi les problèmes rencontrés par la société KPMG (délais trop courts). De plus, nous nous assurons de la qualité de l’information qui nous est transmise puisqu’elle est le résultat d’une présence constante de nos partenaires dans les ateliers et non pas comme dans le cas de KPGM, d’une visite de quelques heures sur un site d’exploitation pétrolière.

Olivier De Schutter
– Nous raisonnons comme si l’amélioration constante de la compétitivité de nos entreprises justifiait les violations des normes sociales, environnementales... et comme si toute tentative de régulation de leurs activités apparaissait comme un obstacle à cette compétitivité. Aujourd’hui cette idée est progressivement remise en cause. On trouve d’ailleurs dans une résolution du Parlement européen, une affirmation , qui stipule que « la compétitivité ne doit pas seulement s’analyser en termes de critères économiques mais aussi dans la promulgation de certaines valeurs ». Cette évolution suggère que le secteur économique, comme le secteur juridique, est porteur de changements.
– Il est un peu dérisoire de parler de codes de conduite sans force contraignante, quand, par ailleurs, les gouvernements adoptent une attitude « hypocrite ». La plupart des traités bilatéraux d’investissement conclus depuis 1990 entre les Etats de la communauté internationale ont une « clause de neutralité politique ». Celle-ci précise que le pays qui signe le traité se refuse le droit d’interdire à une société d’investir sur son territoire, même si cette entreprise entend ne pas respecter les normes sociales, environnementales en vigueur.

Hakim Ben Hammouda
– Au delà des codes de conduite, il y a tout un champ juridique à explorer et des normes à mettre en place pour réglementer un certain nombre de pratiques. Il faudrait peut-être songer à mettre sur pied des comités de réflexion qui s’attelleraient à ces tâches et qui formuleraient par exemple des contre-propositions dans le cadre de l’AMI. Des propositions et des réglementations qui prendraient en considération les atteintes des investisseurs, mais surtout les intérêts des pays du Tiers-Monde.

Pour nuancer

René De Schutter
– Les codes de conduite sont d’extraordinaires outils de mobilisation de la société civile. lis permettent à de nombreux individus de s’investir et sous-tendent à la fois une démarche éducative (processus de sensibilisation de la population du Nord aux situations vécues au Sud) et une démarche politique (processus de participation des sociétés du Nord à des campagnes, à des actions ponctuelles...). Les procès et autres actions en justice ne favorisent pas ce type d’implication citoyenne.

Olivier De Schutter
– Les codes de conduite peuvent être de bons leviers de changement en obligeant les sociétés qui acceptent de les appliquer à négocier les conditions de leur insertion dans les communautés locales, en tenant compte des réticences ou des objections émises par les membres de ces communautés. Les codes de conduite peuvent contribuer à changer les normes du Droit public international, qui voit son contenu progressivement modifié à mesure que certaines « pratiques » sont généralement comprises comme devant régir les activités des multinationales. Ainsi, un juge refusera d’ordonner l’exécution et le respect d’un contrat qui ne se prémunit pas face à des pratiques de corruption, comme l’a fait l’OCDE. Cette évolution est rendue possible grâce aux initiatives induites par les codes de conduite. Les codes de conduite définissent une certaine manière de se comporter qui peut donc influencer la notion de « faute » dans le droit de la responsabilité civile. S’il est vrai que la responsabilité pénale des personnes morales est difficile à invoquer (voir supra), la responsabilité civile des personnes morales, elle, n’est pas mise en doute. Elle se fonde sur l’idée que, lorsqu’une personne morale commet une faute qui cause un dommage, elle est redevable de dommages et intérêts. Cette notion de faute est en train d’évoluer grâce aux normes que contiennent les codes de conduite, du fait qu’elles sont très généralement acceptées.

Martial Cozette
– Les codes de conduite offrent la possibilité de négocier avec les multinationales. C’est une opportunité qu’il faut pouvoir saisir sans pour autant être naïf quant à l’efficacité réelle de ces textes. Il faut aussi exploiter d’autres formes de négociation, comme par exemple la participation aux AG des multinationales, grâce à l’achat d’actions. En France, c’est une voie qui jusqu’ici a très peu été empruntée.

Pour partager (tout en allant plus loin dans le propos)

Paul Heutching
– Les compagnies pétrolières ne veulent pas respecter les codes de conduite qu’elles contribuent à rédiger car elles ne s’intéressent qu’à l’accroissement de leurs bénéfices. Imaginer dès lors qu’elles puissent s’inquiéter du sort des population locales équivaut à croire qu’un charognard souhaite la fuite de sa victime, alors que seule sa mort lui permet de se nourrir et donc de survivre. Dès lors, il faut répondre par la violence à la violence des multinationales, jusqu’à ce qu’elles acceptent la concertation et reconnaissent qu’elles n’ont pas le droit d’agir comme elles le font. Le pétrole est une véritable malédiction pour les nations africaines. Il est synonyme de misère, de mort, et de guerre civile. Sans cette ressource, l’Afrique souffrirait moins. Elle subirait le développement mais pas la répression politique. Le pétrole n’est porteur de changements que si le pays qui le possède est dirigé par des politiques compétents et élus démocratiquement, ce qui n’est pas le cas de l’autre côté de la Méditerranée.

2. LES ACTIONS EN JUSTICE ET AUTRE PROCEDURES

Plutôt que de perdre son temps à rédiger des codes de conduite, il serait plus efficace, selon Sam Zarifi, d’utiliser d’autres procédés pour contraindre les multinationales à changer de comportement. Il met en exergue les procès et parle des instances qui sont susceptibles de servir cette cause.

A- Les procès

Quatre procès défraient la chronique aux Etats-Unis qui mettent en cause des transnationales. Ces dernières se sentent particulièrement concernées car de grosses sommes d’argent sont en jeu. De surcroît, les firmes sont conscientes que si elles perdent ces procès, elles pourraient à l’avenir. en perdre d’autres :

• Contre Shell

les plaignants tentaient d’obtenir des indemnités pour les violations de droits perpétrées par Shell au Nigeria. lis ont été déboutés car Shell est une firme européenne. Elle doit donc être jugée en Angleterre ou aux Pays-Bas. La société a bien un filiale américaine mais celle-ci n’est pas concernés par les activités de la « maison mère » au Nigeria. En Europe, la procédure risque d’être longue et difficile. En effet, si l’on regarde l’organigramme de Shell, cette société n’est pas directement impliquée dans des activités d’exploitation pétrolières Seules les diverses compagnies qu’elle possède le sont. Or établir un lien entre ces firmes et Shell - de façon à poursuivre ce dernier en justice - n’est pas chose aisée. L’expérience pourrait néanmoins en inciter d’autres à attaquer Elf en France (P. Lissouba, le président du Congo Brazzaville renversé en 1997, a porté plainte contre Elf, la justice française n’a pas donné suite).

• Des Birmans contre Total et Unocal

pour construire un oléoduc en Birmanie, le gouvernement a déporté les familles habitant sur le tracé de l’installation. Puis, il a contraint les hommes à travailler pour Total, afin de rembourser « les frais occasionnés par le déplacement de leurs proches ». Les Birmans ont porté plainte en invoquant l’esclavage. Ce procès a eu un énorme retentissement.

• Des Equatoriens et des Péruviens contre Texaco

ils demandaient réparation pour les dommages causés par Texaco à la forêt amazonienne. Déboutés (voir infra), ils ont reformulé leur plainte en invoquant le génocide. lis ont peu de chance d’être entendus, car leur nouvel angle d’attaque semble peu « pertinent »

• Des Indonésiens contre une compagnie minière, la Freeport

ils ont perdu leur procès, le génocide n’ayant pas eu lieu.

Toutes ces actions en justice se sont appuyées sur un texte de loi américaine datant de 1789 (« Alien tort Statute ») qui précise « qu’un plaignant étranger peut poursuivre, individu ou une firme devant les tribunaux américains, s’il estime avoir été victime de violations du droit international et réclamer des indemnités ».

Il existe néanmoins des limites à ces plaintes.
– le plaignent ne peut pas être un Américain. Seuls les étrangers ont le droit de poursuivre.
– la transgression des lois environnementales et des droits économiques et sociaux n’est pas prise en compte. Et en ce qui concerne la violation des droits humains fondamentaux, seuls les cas de génocide, de torture, de meurtre, d’esclavage et de piraterie tombent sous le coup de la loi. On comprend pourquoi les Péruviens ont reformulé leur plainte.
– les personnes qui font l’objet d’une plainte doivent se trouver sur le territoire américain pour être effectivement poursuivies. Le procès contre l’ex-dictateur Marcos a pu avoir lieu car l’homme s’était réfugié à Hawaï.

B. les instances européennes et internationales

• Le Parlement européen

Les grandes institutions peuvent aussi infléchir le comportement des multinationales. Sam Zarifi souligne l’implication grandissante du Parlement européen dans ce combat. Les efforts déployés par cet organisme pour en appeler à la responsabilité des firmes travaillant hors de leurs frontières sont tout à fait remarquables. Ils ont pris la forme d’une résolution votée en janvier dernier. Celle-ci se réfère aux textes de l’O.I.T. (et rappelle entre autre chose l’interdiction du travail des enfants, du travail forcé...), aux travaux de la CNUCED dont l’objectif était d’élaborer un code de conduite applicable à toutes les multinationales (projet avorté) et aux directives de l’OCDE concernant les transnationales.

Cette résolution est importante parce qu’elle
– nous montre (même si certains projets ont avorté) que de nombreuses institutions planchent sur les multinationales ;
– tente de transposer en Europe, le cadre juridique existant aux Etats-Unis. C’est incontestablement le point le plus ambitieux de cette résolution (même s’il y a peu de chance que la Commission s’engage sur ce point) et qui permettrait par exemple, à un non-Français de poursuivre en France une compagnie française pour des violations commises hors du territoire national ;
– demande à la Commission de mettre sur pied un comité de surveillance afin d’évaluer la manière dont les sociétés européennes travaillent dans le Tiers Monde. Ici aussi, un doute subsiste quant à la volonté de la Commission de s’engager sur ce point. Plusieurs avocats et juristes ont anticipé le refus de la Commission et exigé que le Parlement recoure à des auditions, auxquelles seraient convoquées les multinationales. L’objectif de ces rencontres est d’analyser objectivement (sur base des codes de conduite qu’elles ont signés) l’attitude des sociétés à l’étranger.
Toutes les multinationales ne sont pas « mauvaises », rappelle Mr Zarifi. Il en existe 180 000 dans le monde. La plupart sont des entreprises familiales qui vendent à l’étranger et qui font correctement leur travail. Il faut leur permettre de continuer leurs activités. Seul un petit nombre d’entreprises ont la taille de Total ou de Shell et adoptant des comportements blâmables.

Il est important de faire écho aux travaux du Parlement européen et de lui faire parvenir toutes les informations que possèdent les ONG, les chercheurs, les juristes... Il ne suffit pas de pointer du doigt les multinationales. Il faut aussi que l’information prouvant qu’elles se comportent mal circule davantage, afin que l’opinion publique se mobilise et que le discours politique change.

• L’OMC, l’OCDE et les institutions de Bretton Woods

Indépendamment de son action, l’Europe peut être utile, en faisant pression sur certaines instances. comme l’OCDE. Pourquoi parler de l’OCDE et pas de l’OMC ?
L’OMC est très difficile à influencer. De surcroît, elle ne souhaite pas discuter des problèmes que posent les multinationales. Il ne s’agit pas d’un refus de l’organisation, mais d’un refus des pays du Tiers Monde. Ces derniers sont opposés à un moratoire sur la prospection. Certains Etats, comme le Vietnam ou le Cambodge, qui commencent à explorer leur sous-sol voient dans ce projet de moratoire une tentative européenne pour les empêcher de s’enrichir.
L’Europe peut néanmoins agir sur l’OCDE afin de la contraindre à renforcer ses directives. Ce travail pourrait être extrêmement fructueux puisque l’OCDE regroupe 95% des multinationales présentes dans le monde. De plus, la plupart de ces firmes ont leur siège dans des pays démocratiques.

L’OCDE a déjà à son actif une convention sur la corruption dans les Affaires Publiques.
En ce qui concerne les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale), nous n’avons aucun moyen de les contraindre sur cette question.

• Les Nations unies

Deux instances travaillent - ou ont travaillé - à une réglementation concernant les multinationales :

– La Cnuced : elle a tenté d’élaborer un code de conduite applicable à toutes les transnationales. Elle a échoué parce que les multinationales et les PVD s’y sont opposés. Les nations du Tiers Monde qui cherchaient à privatiser divers secteurs de leurs économies, craignaient que le projet de réglementation internationale ne fasse fuir les investisseurs. Elles ont donc refusé de s’y associer. Cet échec a d’énormes conséquences. Aujourd’hui, lorsque vous demandez à une société pourquoi elle ne respecte pas les normes environnementales, elle vous répond systématiquement : « parce que la concurrence ne les respecte pas non plus. Si je suis la seule à le faire, je ne serais plus compétitive ». Or, si tous les pays se mettaient d’accord sur une réglementation internationale, ils ne permettraient plus que les multinationales invoquent ce genre d’argument. pour continuer à agir comme elles le font. Contrairement à ce que croient beaucoup de personnes, il est possible de définir des normes internationales. Il y a des précédents, comme la convention contre la corruption, adoptée très récemment par l’OCDE.
– La Sous-Commission des nations unies pour la prévention de la discrimination et des violences raciales.
Il faut ajouter à cette liste le Tribunal Pénal International, même s’il ne peut jouer aucun rôle dans la question qui nous occupe. La France s’y est opposée.

C. Questions et réactions à l’exposé de Sam Zarifi

Olivier De Schutter : Total s’est toujours refusé à assumer la responsabilité des « excès » en Birmanie (voir supra). La société s’est défendue en disant que le gouvernement birman avait organisé, comme bon lui semblait, l’implantation de l’oléoduc.
Face à cette situation, quels sont les critères pris en considération par les cours américaines pour évaluer le degré de responsabilité des multinationales vis-à-vis des pays dans lesquels elles investissent, étant entendu qu’une multinationale ne petit pas violer les droits et qu’elle ne peut pas non plus être le mailon d’une chaîne qui conduit à la violation de ces droits ?

Sam Zarifi : le critère d’évaluation le plus communément utilisé par le pouvoir judiciaire consiste à dire que plus une firme est « proche de la violation de droits », plus grande est sa responsabilité. Il faut nuancer ce propos par deux exemples.

En Chine, le pouvoir politique promulgue les lois qui servent de cadre à l’activité des transnationales. Il définit lui-même ce qui est licite ou illicite. Les multinationales n’ont rien à dire.
Au Nigeria, la situation est très différente. Shell impose sa volonté. Il appuie ou rejette les textes en fonction de critères personnels. Dès lors, lorsque la compagnie invoque la responsabilité de l’Etat pour occulter sa propre responsabilité dans un grand nombre de violations, elle n’est pas crédible. Ce qui ne signifie pas que le gouvernement n’ait rien à se reprocher.
Il faut ajouter une dernière chose. Une entreprise n’est pas une entité abstraite au retard de la loi. Ainsi, il y a trois ou quatre ans, la France a amendé son code pénal afin de définir la responsabilité pénale des sociétés.

Aimé Maturin Moussy se demande si le débat qui vise à infléchir le comportement des multinationales concerne les Africains. Ne devrions-nous pas développer nos propres stratégies de lutte et utiliser les associations du Nord - qui sont capables de mobiliser très rapidement leurs opinions publiques et leurs hommes politiques - pour nous protéger contre la répression politique ?

Bruno Carton : ne faut-il pas réfléchir aux possibilités qui existent de faire sanctionner les Etats industrialisés quand ils permettent à leurs firmes d’aller travailler au rabais, à la pprédation dans les pays du Sud ? Il faut aussi s’interroger sur les possibilités qu’ont les populations du Sud de faire condamner leurs Etats, lorsqu’ils sont responsables ou complices de violations de droits.

Giani Tognoni
– Il faudrait rassembler toutes nos expériences et constituer un site Web qui serait à la fois un outil de réflexion, d’information et de formation permanente. On trouverait par exemple sur ce site des comptes-rendus de tribunaux. Ces compilations nous permettraient d’analyser en profondeur les actions en justice, menées jusqu’ici contre des multinationales afin de mieux nous préparer aux procès à venir.
– Il nous a été possible de travailler sur le problème de l’impunité en Amérique latine parce que ses pays conservaient une structure judiciaire. En Afrique, le travail serait plus difficile, non que les lois soient inexistantes, mais la structure judiciaire est déliquescente.

ANALYSE DES MOYENS DE SENSIBILISATION, DE MOBILISATION ET D’ACTION CONTRE LES MULTINATIONALES

1- PRESENTATION SOMMAIRE DE QUELQUES CAMPAGNES

A. Face à la mondialisation

Gustave Massiah
Les actions de mobilisation menées contre les multinationales s’inscrivent dans un mouvement plus vaste de lutte contre la mondialisation (globalisation). Quatre campagnes s’intéressent tout particulièrement à ce problème.
– La campagne sur la dette : qui a connu un nouvel essor grâce aux actions de « Jubilé 2000 ». Les associations exigeaient une suppression totale de la dette des pays en voie de développement.
– La campagne sur le commerce mondial et l’AMI
– La campagne sur les marchés financiers qui compte deux chevaux de bataille, la lutte contre les paradis fiscaux et l’imposition d’une taxation sur les spéculations financières.
– La campagne concernant les institutions financières internationales qui pose le problème de la régulation du système financière mondial.

B. Face aux multinationales

Divers participants ont présenté leurs associations qui luttent pour infléchir le comportement des multinationales, quels que soient leurs domaines d’activités.

Oilwatch ( A. van dni Hoek) : le siège de cette association se trouve au Pays-Bas. Elle possède un réseau très développé de partenaires au Sud et travaille entre autre pour la protection de certaines zones (Amazonie), l’idée originelle étant d’obtenir un moratoire international pour les soustraire à la « convoitise » des grandes entreprises (exploitation du sous-sol, déboisement...)

ICEM ( M. Murphy) : Confédération syndicale des secteurs minier et pétrolier. L’I.C.E.M. apporte un soutien à la création de syndicats dans les pays pétroliers. Elle fournit aussi un appui logistique, technique...) aux organisations syndicales déjà présentes sur le terrain.

SOS Libertés et Nature (A.M. Moussy) : cette association travaille sur le projet de pipeline entre le Cameroun et le Tchad. L’idée n’est pas de lutter contre l’implantation de l’oléoduc mais de se battre pour que son installation se fasse dans le respect des populations locales et de l’environnement, de façon à ce qu’il devienne un véritable facteur de développement pour les pays concernés. Le slogan de la campagne, « no pipeline, no freedom » traduit cette volonté.
Martin Zint a participé à l’organisation de deux séminaires dans les régions concernées par le projet pétrolier. Ces rencontres ont été financées par l’ONG allemande « Brot für die Welt ».
Elles ont rassemble des représentants des populations locales, du gouvernement, du consortium et des institutions financières internationales. Elles ont permis de postposer le début de l’exploitation pétrolière afin que les populations puissent s’y préparer.

Collectif « Elf ne doit pas faire la loi en Afrique » (G. Massiah) : ce collectif a pour objectif de dénoncer l’attitude d’Elf en Afrique et, par ricochet, celle de la France. Il regroupe, et c’est une nouveauté, des associations africaines (d’Afrique et de France) et des organisations françaises (Cedetim, Parti des Verts, syndicats...). Le mouvement existe depuis deux ans. Il a mené diverses actions, dont une campagne de dénonciation sur base de petites affiches. Ces dernières représentaient le Golfe de Guinée et des puits de pétrole, noyés sous des flots rouges. Ceux-ci symbolisaient la transformation de l’or noir en sang, dans des pays entièrement sous la coupe des multinationales du pétrole. L’affaire a fait grand bruit. Elf a porté plainte mais sans succès (débouté en appel). Une autre action du collectif consiste à rédiger des tracts dénonçant l’attitude d’Elf puis à les distribuer aux membres du personnel de la société. Les réactions sont « favorables ». Il y a eu un rapprochement sensible avec les syndicats (en lutte contre la direction), même si l’Afrique leur semble loin et s’ils cherchent d’abord à défendre l’emploi en France.

Rupture : cette association a été créée au Congo-Brazzaville. Elle milite pour la paix civile et la défense des droits fondamentaux et tente de désenclaver son action en l’étendant à toute l’Afrique centrale.

La campagne « vêtements propres » (R. de Schutter, P. Pennartz, M. Meyer) : elle existe depuis plusieurs années et a comme principaux objectifs :
– de montrer que les consommateurs sont attentifs au respect des droits de l’Homme dans le travail.
– d’amener les « grandes pointures » de la confection, les distributeurs et les sous-traitants à respecter quelques codes de conduite garantissant aux travailleurs, la liberté d’association, l’absence de discrimination...
– d’exiger des entreprises qu’elles se prêtent à des contrôles indépendants.

2. DIFFICULTES QUI ENTRAVENT L’ELABORATION DE CAMPAGNES AU NORD ET AU SUD

A. Au Nord

Gustave Massiah
Une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est de mener des campagnes qui agissent à la fois au niveau local, national et international.
Au niveau local, l’aide apportée par les associations du Nord aux populations du Sud prend la forme d’un soutien aux mouvements de résistance et de lutte.
Si l’on veut dépasser ce stade « de résistance », il faut automatiquement agir au niveau national, voire international. Et là, les choses se compliquent car la corruption a considérablement modifié les rapports entre les Etats et les grandes entreprises, en les liant (parfois) étroitement l’un à l’autre. Les associations du Nord doivent alors définir des alliances, négocier (au cas par cas) avec les partenaires au Sud pour savoir quels mouvements et quelles propositions elles acceptent de soutenir.

Au niveau international, il existe deux courants qu’il est peut-être intéressant d’appuyer.
– Le premier est celui que l’OCDE a défendu et que l’on pourrait résumer par la question suivante « Est-il possible de moraliser l’économie mondiale, dans l’intérêt du capitalisme lui-même ? »
En effet, un certain nombre de personnes considèrent maintenant que l’option du « tout libéral » est trop dangereuse et qu’il faut revenir à des politiques ayant des bases sociales réelles.
– Le deuxième est celui que le monde associatif a le plus largement soutenu et qui tente de mettre l’accent sur « les droits » comme principes directeurs de la conduite des politiques (E. C. 0. S. 0. C.). Ill s’agit « d’accentuer la pression »
1) pour que les violations de droits politiques, économiques et sociaux puissent faire l’objet de plaintes et qu’il ait une régulation internationale des ces plaintes.
2) pour que les associations puissent porter plainte contre les Etats et les multinationales.

Une autre difficulté dont il faut tenir compte lorsque l’on veut lancer une action contre les multinationales, est le contexte culturel du pays dans lequel on opère. Les citoyens français (contrairement aux Hollandais et aux Américains) n’ont pas pour habitude de recourir aux tribunaux ou au boycott pour infléchir le comportement des multinationales, En ce qui concerne l’action en justice, elle a été plusieurs fois tentée sans grand résultat. L’avocat Olivier Ruisbach, fondateur de l’association « Droit contre raison d’Etat » a ainsi saisi les tribunaux à trois repries :
– pour demander qu’un huissier assiste à la rencontre entre Brejnev et Reagan ;
– pour faire condamner Felipe Gonzalez pour mensonge électoral ;
– pour faire condamner Dassault, dont les avions vendus à Sadam Hussein avaient servi à décimer la population kurde d’Irak.

Dans les trois cas, les juges se sont déclarés incompétents. Plus récemment, d’autres actions en justice ont été menées (sans-papiers,...). Elles se sont révélées inefficaces et même contre- productives. De surcroît, l’utilisation de certaines affaires (Dumas/Deviers Joncourt, Le Floch Prigent...) pour dénoncer l’action des multinationales et les faire condamner, a aussi été impossible. A côté du manque de résultats, un autre élément explique la réticence française à recourir aux tribunaux : il s’agit des liens qui, en France, unissent très étroitement les grandes entreprises à l’Etat.

Face à ce constat « d’immobilisme », trois champs d’action sont à explorer
– utiliser les conventions de l’O.I.T. : ce qui permettrait de créer des liens entre des associations de défense des droits de l’Homme, de solidarité et des syndicats"
– utiliser le principe de précaution et amener les associations à prendre conjointement position sur un certain nombre de points. Cet engagement pourrait faire l’objet « d’une charte » qui serait transmise au nouveau Parlement européen ;
– réaffirmer notre volonté de lutter contre les violations des droits fondamentaux et les complicités dont elles bénéficient.

B. au Sud

Les contextes de violence (Algérie) ou de désinformation (Cameroun) dans lesquels vivent les pays africains producteurs de pétrole constituent les principaux freins à l’élaboration de campagnes dans ces pays.

• Ghazi Hidouci - le cas de l’Algérie

En 1971, la nationalisation du pétrole se traduit dans les faits par l’ouverture du domaine pétrolier algérien aux compagnies américaines et anglaises, l’amélioration en terme de revenus du budget algérien et la démobilisation de toutes les organisations syndicales, politiques... qui luttaient jusqu’ici pour un changement de régime pétrolier.
Une période noire succède au processus de nationalisation : celle de « l’industrialisation clé en mains ». Les compagnies pétrolières récupèrent les pertes enregistrées lors de la nationalisation du pétrole en proposant à l’Etat algérien des capitaux (processus d’endettement), des équipements pétroliers et des usines construites et contrôlées par elles (immixtion dans la souveraineté financière du pays). La situation perdure jusqu’en 1986. A cette époque, la chute du prix du pétrole entraîne une rei-nobilisation des syndicats et autres associations citoyennes.
En 1991, les élections législatives sont interrompues. Soumis à diverses pressions, les représentants de l’ancien pouvoir sont particulièrement effrayés par le désir de changement de régime pétrolier exprimé par les associations citoyennes algériennes. Celles-ci se prononcent en faveur des investissements des compagnies étrangères en Algérie mais souhaitent que l’Etat organise leur retour dans les limites d’un cadre juridique contraignant. L’Etat s’y refuse, préférant l’organiser, sur base de critères individuels (décisions au coup par coup et différentes selon les sociétés).
En 1994, l’Etat l’emporte. La privatisation du pétrole algérien est organisée selon ses désirs avec le concours de la Banque mondiale et du FMI. Aujourd’hui, les zones pétrolières constituent « un Etat dans l’Etat ». Elles sont interdites à tous les Algériens qui n’y travaillent pas et sont complètement quadrillées par des milices privées. Cette situation rend toute mobilisation contre le secteur pétrolier dangereuse, voire impossible

• Aimé Maturin Moussy : le cas du Cameroun

En 1975, les Camerounais sont invités à participer à la construction de la raffinerie de Limbe. lis découvrent que leur pays est riche en or noir, contrairement à ce que prétendait jusqu’ici le gouvernement. « Le pétrole ne constitue pas une ressource suffisamment sûre et abondante pour assurer le développement du pays, chacun veillera donc à cultiver ses terres (politique de la ceinture verte) ». Jusqu’en 1996, les recettes pétrolières ne seront pas budgétisées. Dans ce contexte d’opacité et de déni, il est toujours impossible aux Camerounais d’obtenir des informations sur la gestion du pétrole dans leur pays (délit contre la sûreté de l’Etat). Ainsi, la plupart d’entre eux on appris le projet de construction d’un pipeline entre le Cameroun et le Tchad par le biais de la presse étrangère.
Suite à cette découverte et sous la pression populaire, le gouvernement a organisé un forum afin « de prendra, en compte, les exigences du peuple ». Sur les 60 ONG invitées à participer aux débats, 58 étaient proches du pouvoir. Les organisations indépendantes n’ont été admises au forum, qu’en tant « observateurs muets ». Malgré ce contexte difficile, la contestation s’est progressivement organisée, appuyée entre autre par le collectif « SOS Libertés et Nature » et son slogan « no pipeline, no freedom ».
L’élaboration de campagne reste néanmoins difficile parce que la quête d’informations fiables est impossible (black-out total de la part de l’Etat camerounais) et dangereuse.
La « désintégration » de la société civile africaine constitue un autre obstacle à la mobilisation citoyenne en Afrique.

Patrice Yengo
Avant 1960, les Africains se battaient pour obtenir l’indépendance de leurs pays. Cette lutte a cimenté les peuples. Après 1970, le tissu social s’est complètement désagrégé. Les associations de quartiers, les syndicats, tout a disparu. Cette absence de liens, « de passerelles » vers la société civile, a jusqu’ici sapé tous les mouvements de résistance. Les seuls liens qui ont subsisté ou qui ont été « réactivés » sont des liens de solidarité ehtnique (d’où violences). Face à l’effondrement des structures sociales, les groupes se sont atomisés, refermés sur eux-mêmes, ce qui rend la mobilisation très complexe (sauf à un niveau très local). Cette situation explique aussi la pérennité des gouvernements africains. La résistance face à des pouvoirs corrompus est difficile à organiser dans une société complètement éclatée. De plus, il faut réaliser que, pour les Africains, Elf est un « esprit frappeur » ; les Africains ne connaissent pas « Elf ». Il faut accroître les stratégies d’information sur les réalités du groupe transnational « Elf » et sur les stratégies juridiques possibles en Afrique et en Europe.

C. Quels moyens le Nord et le Sud peuvent-ils conjointement utiliser pour sortir les pays d’Afrique de leur isolement ?

Martin Zint
– Il faut savoir exploiter « les points forts des uns et des autres ».
Même s’ils n’ont pas accès à l’information, les partenaires du Sud ont une grande connaissance de la situation de leur pays et des différents acteurs en présence. Ces données sont utiles aux associations du Nord et leur permettent d’agir plus efficacement. Ces dernières, de leur côté, peuvent accéder beaucoup plus facilement aux renseignements qui font défaut au Sud, grâce à leurs relais dans d’autres villes du monde ou à des contacts dans différentes institutions (FMI, Banque mondiale...).
Il faut maintenant développer des réseaux efficaces et rapides de transmission de ces données (fax, E-Mail, sites Web...) pour faciliter les échanges et sortir les associations citoyennes du Sud de leur isolement.

CONCLUSION

Les trois associations à l’initiative de ce séminaire remercient l’ensemble des participants pour leurs contributions aux débats.
La publication prévue à l’automne 1999 de l’étude du GRESEA « Le pétrole en Afrique, la violence faite aux peuples », ainsi que des travaux de ce séminaire articulés aux contributions au Tribunal Permanent des Peuples sera une première étape pour restituer une mémoire de nos débats. Au-delà de ces publications, il ressort des échanges de ce séminaire plusieurs axes de travail pour l’avenir. Il a été ainsi souligné la nécessité de :

• compiler les matériaux d’analyses, les documents de campagnes de sensibilisation et d’action pour dégager une typologie des droits de l’homme et des peuples violés par les activités des multinationales du pétrole (avec la question d’élargir le champ d’analyse aux multinationales dans le domaine minier). Il s’agirait de créer une doctrine à ce sujet ;
• se donner les moyens de faire circuler l’information et les analyses sur des actions en justice intentées contre les multinationales, de pouvoir comparer l’efficacité des législations nationales et internationales pour qualifier la responsabilité juridique de ces groupes privés quant au respect des droits de l’homme et des peuples.

Face à des groupes privés qui se comportent en « sociétés à irresponsabilité illimitée », le levier d’action du droit international à construire et le terrain de l’action en justice sont à investir. A investir avec des partenariats plus larges, déjà esquissés dans ce séminaire.

L’A.I.T.E.C., le G.R.E.S.E.A. et I.R.E.N.E. s’engagent à s’y investir, en lien avec les travaux futurs du Tribunal Permanent des Peuples consacrés aux responsabilités des firmes économiques privées quant aux droits de l’homme et des peuples.

Les trois associations s’efforceront en outre d’interpeller, sur base de ce séminaire et de la session du Tribunal Permanent des Peuples
• La Commission des droits de l’homme des Nations unies qui peut contribuer à reconnaître les violations des droits entraînées par l’exploitation pétrolière en Afrique ;
• les instances impliquées dans la renégociation des accords de Lomé : Commission et Conseil de l’Union européenne, Assemblée Paritaire, Parlement européen.


Compte-rendu du séminaire réalisé conjointement par AITEC (Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs), le GRESEA (Groupe de Recherche pour une Stratégie Economique Alternative) et IRENE (International Restructuring Education Network Europe) les 17 et 18 mai 1999.

Les débats ont eu lieu dans les locaux du CICP (Centre International de Culture Populaire), au 21 ter, rue Voltaire 75011 Paris et ont rassemblé diverses personnalités du monde associatif européen et africain :

Peeters, B. Carton et R. De Schutter (GRESEA), 0. De Schutter, S. Zarifi (juristes), F. Houtart (Alternatives Sud), J.-Y Barrère (économiste), G. Tognoni (Tribunal Permanent des Peuples), H. Ben Hammouda (Codestria), A. Van den Hoek (Oilwatch), C. Heensleeak (Novib), M. Cozette (CFIE), M. Murphy (ICEM), P. Pennartz (IRENE), A. M. Moussy (SOS Libertés et Nature), P. Heutching et P. Bissila (Collectif « Elf ne doit pas faire la loi en Afrique »), R. Benhaim (Cedetim), W. Mai (Brot für die Welt), M. Zint (projet Tcliad/Cameroun),E. Todts (Oxfam Solidarité), P. Yengo (mouvement associatif africain), M. Vandemeulebroucke et B. Saliba (journalistes), S. Allen et M.A. Aneli (étudiantes), G. Massiah et G. Hidouci (AITEC).