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Mobilisations contre la réforme du système de sécurité sociale suédois

Publié par , le 16 mars 2007.





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Le 14 décembre dernier (2006), des milliers de suédois ont manifesté contre la réforme de leur système de sécurité sociale. Situation peu fréquente en Suède, d’autant plus que les manifestants étaient de tous âges et que plusieurs syndicats y étaient présents avec leurs banderoles officielles. Wanja Lundby-Wedin, présidente de LO [1] (la principale confédération syndicale suédoise), a remis au ministre du travail, Sven Otto Littorin, une pétition signée par plus de 250 000 suédois.

Un gouvernement de centre-droit : de nouveaux rapports de force

L´Alliance pour la Suède, qui a gagné les élections locales et nationales en septembre, est une coalition inédite de 4 formations politiques [2]. Elle est le fruit d´un gros travail de rassemblement au sein de la droite suédoise ces dernières années pour parvenir à battre le Parti Social-Démocrate (SAP), qui n´avait cédé sa place au pouvoir qu´à deux reprises depuis 1932 [3]. LO, très étroitement liée au SAP, avait mis toute son énergie dans la campagne pour le soutenir.

La victoire électorale de l´Alliance est en partie due au virage pris par le Parti du rassemblement modéré de Fredrik Reinfeldt (actuel premier ministre) : Les « nouveaux modérés » avaient déclaré qu´ils ne s´attaqueraient pas au modèle social suédois –qui a déjà connu de profondes mutations dans les années 1990- et centré leur campagne sur l´emploi.

La présentation du budget en octobre dernier a marqué le début des tensions entre le nouveau gouvernement et les syndicats, pourtant traditionnellement peu enclins à la confrontation. Forts de leurs poids dans la société suédoise, ils sont habitués à la négociation et au compromis, que ce soit avec le gouvernement ou avec les employeurs. Janne Rúden, président de SEKO (syndicats des services et des communications), avait déclaré : « Je pense que c´est une grosse insulte vis à vis des gens qui pensaient avoir voté pour un nouveau parti des travailleurs », affirmant que le gouvernement commencait le dialogue avec les syndicats dans une « zone de guerre ». Wanja Lundby Wedin déclarait quant à elle : “contrairement aux conservateurs, nous pensons que le chômage résulte d´un manque d´emplois et non d´un manque de volonté de chercher du travail” [4].

Depuis novembre, la réforme du système de sécurité sociale creuse davantage encore le fossé entre le gouvernement et les syndicats. Le ministre des finances, Anders Borg, a affirmé que les syndicats risquaient d´ "aliéner leurs membres" en persistant à lutter contre la réforme du système de sécurité sociale.

La réforme de l´assurance chômage cristallise les tensions

La réforme du système de sécurité sociale concerne à la fois l’assurance maladie et l’ assurance chômage. C’est autour de cette dernière que se concentrent les mobilisations.

La réforme prévoit une baisse des allocations chômage pour, comme on peut le lire sur le site officiel du gouvernement, « faciliter et augmenter la motivation de retrouver du travail ». A cela s’ajoute une hausse des côtisations individuelles à l’assurance chômage devant compenser la baisse de son financement par l’Etat, qui la finance actuellement à 90% et souhaite diminuer ce chiffre à moins de 50%.

Les partis d´opposition, les syndicats et les associations dénoncent une politique qui forcera les chômeurs à accepter de bas salaires pour travailler. En Suède il n´existe pas de salaire minimum légal, les salaires sont négociés dans le cadre des conventions collectives. La baisse des allocations chômage pourrait obliger les chômeurs à accepter un travail pour un salaire inférieur à ceux négociés dans le cadre des conventions. Selon Leif Håkansson, vice-président de LO, “une assurance chômage généreuse est un élément vital du modèle suédois. La détérioration de l´assurance chômage aura des conséquences négatives considérables non seulement pour les sans-emplois mais également pour la société dans son ensemble (...) Le gouvernement transfère la responsabilité du chômage aux individus, alors que le chômage est de toute évidence un problème structurel [5] ».

Une réforme qui pourrait affaiblir les syndicats

Quant à la hausse des côtisations, impopulaire y compris parmi les électeurs de l´Alliance, elle est d´autant plus lourde de conséquences qu´elle pourrait avoir un impact sur le taux de syndicalisation.

Jusqu´à présent, il existait une allocation chômage de base et une allocation complémentaire, basée sur une affiliation volontaire des employés aux caisses d´assurance chômage qui sont en Suède gérées par les syndicats. Etre syndiqué n´est pas obligatoire pour y être affilié mais l´adhésion à un syndicat entraîne automatiquement l´affililiation à une caisse d´assurance chômage.

Le gouvernement souhaite développer davantage l´affiliation individuelle à l´assurance chômage et la détacher des syndicats, tout en augmentant le montant des côtisations. Selon un sondage paru dans le journal de LO, si les côtisations à l´assurance chômage augmentent conformément à ce que propose le gouvernement, 10% des membres (particulièrement ceux qui ont des bas-revenus) affirment qu´ils quitteront leur syndicat pour s´affilier uniquement à l´assurance chômage .

Les syndicats accusent le gouvernement de vouloir les affaiblir par le biais de cette réforme. Wanja Lundby-Wedin a déclaré : « Le gouvernement sait que la force des syndicats vient du fait que nous avons 80% ou plus de salariés syndiqués. Si ce chiffre tombe à 55%, nous serons moins efficaces... Ils veulent que nous ayons moins de pouvoir » [6]. Elle a ajouté lors des manifestations du 14 décembre : « Les mouvements opérés par le gouvernement de Fredrik Reinfeldt sont une menace pour le modèle suédois dans lequel les syndicats, l´industrie et les employeurs coopèrent étroitement ».

Les mobilisations contre la réforme : accords et désaccords

La mobilisation a débuté courant novembre. A Stockholm un rassemblement hebdomadaire baptisé « Mandagsupproret » (le soulèvement du lundi) s´est mis en place à Mynttorget, non loin du Parlement. Les confédérations syndicales ne voulant pas en prendre la responsabilité, c´est le réseau Gemensam Välfärd (Common Welfare network, réseau de syndicats et associations), qui a "parrainé" ces rassemblements. Chaque semaine de novembre ce Mandagsupproret, mêlant musique et interventions, a regroupé une centaine de personnes autour du slogan « Rör inte vår A-Kassa ! » , « Ne touchez pas notre caisse d´assurance chômage ! ». Les intervenants, souvent des membres de sections syndicales, y dénoncaient le processus continu de déconstruction du modèle social suédois depuis les années 1990 et la direction résolument néo-libérale prise par le nouveau gouvernement, appelant les centrales syndicales à réagir.

Une première manifestation nationale, rassemblant 5 500 personnes environ à travers le pays, a eu lieu le 15 novembre à l´initiative de la SAC [7] (proche de la CNT en France), qui avait également appelé à la grève, et du syndicat SEKO.

Parallèlement, les deux principales confédérations syndicales, LO et TCO, s´interrogeaient sur les formes de mobilisation à mener -prenant toutefois bien soin de se distancier de l´initiative de la SAC. Bien que très actives, les confédérations n´ont pas l´habitude des manifestations, et encore moins des grèves. Ce refus de la confrontation leur vaut d´ailleurs quelques critiques : trop focalisées sur les conditions de travail et pas suffisamment mobilisées sur des questions politiques plus générales, pas assez dures dans les négociations des conventions collectives [8]... Déja interpellées dans leur positionnement auparavant, les confédérations syndicales -et particulièrement LO- sont bousculées depuis l´arrivée au pouvoir du centre-droit.

Le 14 novembre, le quotidien Dagens Nyheter publiait un article sur les grèves politiques dans lequel des représentants syndicaux débattaient sur la légalité et l´opportunité d´une grève. Jannis Konstantis, du syndicat SEKO, demandait à LO d´appeler à la grève alors qu´Erland Olausen, vice-président de LO, défendait la position de la centrale : appel à une manifestation nationale le 14 décembre mais refus d´utiliser la grève comme moyen de protestation. Selon Erland Olausen, il faut respecter un gouvernement démocratiquement élu : Il s´agit de convaincre par du lobbying, en manifestant (le dernier appel de LO à une grève politique remonterait à 1928). Les syndicats IF Metall, Transport et SEKO ont remis au bureau de LO une liste de 9 361 personnes réclamant une grève. Certains membres ont reproché à LO de ne pas être suffisamment active.

Quant à TCO [9], elle a déclaré qu´elle n´appellerait ni à la grève ni à la manifestation, ses membres n´étant pas habitués à manifester. Initialement proche des sociaux-démocrates et désormais apolitique, TCO ne souhaitait sans doute pas se mêler à LO dans l´organisation d´une initiative et a lancé sa propre campagne [10]. Cela n´a pas empêché SKTF, le syndicat des employés communaux, d´être présent à la manifestation du 14 décembre.

Cette manifestation a rassemblé 39 000 personnes à travers la Suède, ce qui est un grand succès. C´était la troisième mobilisation nationale des membres de LO en dix ans. En amont de la manifestation, LO avait organisé une grosse campagne d´affichage dans les rues et le métro, appelant à protester contre la réduction des allocations chômage. Elle a également organisé une pétition, signée par plus de 250 000 suédois, qui a été remise au ministre du travail.

Bilan des mobilisations

Malgré le succès des mobilisations, la réforme gouvernementale a été adoptée par le Parlement. Ces mobilisations ont cependant laissé entrevoir la possibilité de nouvelles alliances au sein du mouvement social. La politique du gouvernement devrait conduire certains syndicats à travailler davantage en partenariat avec des associations et à privilégier des formes de coopération telles que le réseau "Gemensam Välfärd", d´autant plus que les relations entre le gouvernement et les syndicats devraient continuer à se détériorer dans les mois à venir. Selon Klas Eklund, économiste, "Le gouvernement est en train de mettre en oeuvre plusieurs propositions qui auront tendance à affaiblir le mouvement syndical à long-terme" [11].

[1] LandsOrganisationen, qui représente 15 syndicats, 1,8 million de membres

[2] Le Parti du rassemblement modéré (M), le Parti du peuple-les Libéraux (FpL), le Parti chrétien-démocrate (KD) et le parti du centre

[3] de 1976 à 1982 puis de 1991 à 1994

[4] « Swedish unions slam budget », TheLocal.se, 16 octobre 2006

[5] site de LO : http://www.lo.se/

[6] « Swedish unions rail at benefit cuts », Financial Times, 5 décembre 2006

[7] Sveriges Arbetares Centralorganisation, Organisation Centrale des Travailleurs Suédois

[8] 80% des membres de LO trouvent qu´elle devrait être plus dure lors des négociations des conventions collectives

[9] Tjänstemännens Centralorganisation, la Confédération générale des cadres, fonctionnaires et employés

[10] En quatre points : augmenter les côtisations individuelles à l´assurance chômage ne devrait pas être un moyen de financer des baisses d´impôts, cette réforme est particulièrement dommageable pour les femmes, ses conséquences n´ont pas été suffisamment analysées, et enfin c´est une réforme qui survient trop rapidement et devrait être repoussée.

[11] "Swedish minister warns unions not to fight reforms", Financial Times, 23 novembre 2006

Par Hélène Cabioc’h