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Energie 2007 : Une crise de l’énergie sans précédent

Publié par , le 19 mars 2007.





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Une crise de l’énergie sans précédent : du pétrole au gaz, du gaz à l’électricité, la financiarisation libérale mène la planète droit dans le mur.

Il est temps pour les citoyens et les politiques de reprendre la situation en main et de choisir eux-mêmes leur avenir
Energie 2007 - Juin06
Energie 2007 est composé d’ingénieurs et d’économistes du secteur énergétique

1. De la rente minière à la rente boursière : la géniale invention des pétroliers

Pour les matières premières, les mécanismes de formation des prix qui sont enseignés en économie classique ont expliqué, depuis fort longtemps, dit ici en termes simplifiés, que le prix de marché s’établit au niveau du coût de production de la mine la moins productive –la mine marginale, celle qui est « la plus chère »- dont la production est nécessaire pour que soit réalisé l’équilibre offre-demande de cette matière première. A moyen-long terme, dans un horizon qui permet de réaliser de nouveaux investissements de production pour faire face à la demande, (l’ouverture de nouvelles mines), ce coût de production est un coût complet incluant les investissements, c’est à dire le coût marginal de production de long terme. Dans ces conditions, toutes les mines autres que la mine marginale bénéficient d’une rente, la rente minière, égale à la différence entre le prix de marché (égal au coût de la mine marginale) et son propre coût de production.

Pour le pétrole, par exemple, il est connu que la plupart des champs de la péninsule arabe (Arabie Saoudite et Emirats) ont des coûts marginaux de production allant de 1 à 5 US$/baril, tandis que, selon les données communiquées par les compagnies pétrolières elles-mêmes il y a encore cinq ans, leur politique les a conduit à ne produire, ailleurs dans le Monde, que dans des champs dont les coûts de production étaient inférieurs à 20-25 $/b. Avec la formation de prix de marché conforme à ce qu’enseigne l’économie classique, et avec 5-10 $/b de marges supplémentaires pour recherches nouvelles, les prix du pétrole devraient avoisiner les 30-35 $/b. Or, nous verrons plus loin pour quelle raison ils excédent largement cette valeur…

L’économie classique enseigne également que, grâce à la concurrence, une mine de coût de production inférieur au prix de marché sera mise en valeur et l’apparition de son offre sur le marché éliminera la mine marginale au profit de la mine dont le coût de production était juste inférieur à elle : ainsi se réaliserait la baisse progressive des prix de marché, du moins tant qu’existerait la possibilité de produire à meilleur coût (nouvelles mines, nouvelles technologies d’exploration ou de production,…). Mais lorsque la ressource naturelle commencera à s’épuiser, dit la théorie, il apparaîtra une hausse inévitable du coût de la mine marginale et donc du prix de marché.

Toute l’histoire pétrolière montre comment, peu à peu, après bien des crises, dans la réalité, s’est réalisée la concentration de l’essentiel de la production mondiale entre les mains de quelques compagnies (les 7 « majors » du Cartel, devenues 5), ce qu’on appelle l’oligopole pétrolier, agissant de concert pour fixer le prix de marché et les quantités produites, générer et s’approprier une rente pétrolière la plus élevée possible. Cela, avec l’appui, y compris militaire, de leurs Etats d’origine, USA, GB et France. De fait, toute l’Histoire depuis plus d’un siècle, montre le lien entre pétrole et guerre, tant au plan local qu’au plan mondial.

La maximisation de la rente pétrolière par le Cartel ne s’est d’ailleurs pas jouée seulement par le contrôle des prix de marché mais aussi par la stratégie des firmes relative aux quantités mises sur le marché : peu à peu, après la dernière guerre mondiale, la « conquête de parts de marché maximales » pour le pétrole et l’éviction progressive du charbon ont été conduites grâce à une politique de prix ajustés juste au-dessous des prix du charbon et, ceci, progressivement, dans tous les usages thermiques. Cela à la faveur de deux éléments clés : d’un côté, le compromis passé avec les Etats consommateurs qui sont devenus peu à peu, grâce aux taxes pétrolières, bénéficiaires d’une partie importante de la rente (« juste rémunération de leurs services de gendarmes de l’ordre géopolitique pétrolier » disent certains) ; de l’autre côté, le compromis passé avec les aristocraties dirigeantes des pays producteurs clés (les « princes du pétrole »), garantes de l’ordre pétrolier musclé indispensable sur place, en échange de « royalties » de dimension impressionnante certes, mais en réalité ne représentant, au début, que des miettes, puis des « bas morceaux », par rapport à la rente pétrolière appropriée par le Cartel et les Etats consommateurs (prix modérés mais quantités en très forte croissance).

En réaction, après la première étincelle que fut la nationalisation des ressources pétrolières en Iran par le gouvernement progressiste de Mossadegh en 1952 (engendrant la grande peur anglo-saxonne qui a produit un putsch et le régime « ami » du Shah), est venue la constitution progressive de l’OPEP, cartel des pays producteurs du Sud, puis le premier « choc pétrolier ». Avec une redistribution des cartes, et de la rente, avec de nouveaux compromis concédant, sous le poids de nouveaux rapports de forces, une part plus importante de la rente pétrolière aux pays producteurs, assortie d’une augmentation des prix payés par les consommateurs du Nord. Peu à peu, il ne s’agissait plus de « royalties » mais de formes, d’ailleurs diverses, de paiement d’une ressource à un Etat souverain, propriétaire devenu reconnu, de celle-ci.

Pendant longtemps, tous les prix des produits pétroliers étaient fixés dans des contrats de moyen terme pour les gros consommateurs et généralement fixés par l’Etat sur la base d’un barème stable pour les autres. De même, les gains des pays producteurs étaient fixés par des accords de moyen terme, en fonction du rapport de forces dans la confrontation directe entre un Etat et une ou plusieurs Compagnies données. Avec l’apparition de crises physiques d’approvisionnement, avec, d’un seul coup, fermeture de tel ou tel « robinet » dans un Etat producteur, pour des raisons politiques ou de création d’un rapport de force pour négocier ou renégocier des accords, est apparu, dans le début des années soixante-dix, un mécanisme qui allait devenir décisif : le « marché spot » du pétrole.

A l’origine, Rotterdam étant le marché spot de référence, il s’agissait d’un marché d’ajustement de quantités physiques de pétrole peu importantes destinées à faire face à tel ou tel aléa à court terme, à la marge d’un contrat de moyen terme. Evidemment, selon demande et offre, les prix d’échange pour ces quantités, (beaucoup d’ailleurs n’étaient qu’échangées physiquement, sans prix) ont fluctué. Ces quantités sur le marché spot représentaient au début moins de quelques pourcents du commerce mondial de pétrole et les intervenants étaient des professionnels du pétrole. Mais peu à peu, avec la mondialisation libérale et avec la financiarisation qu’elle a engendrée, ce marché spot est devenu une vraie bourse du pétrole, fonctionnant sur la base des anticipations à la hausse ou à la baisse des prix, des quantités et des profits court terme espérés par les opérateurs intervenant sur ce marché. Et ces anticipations sont devenues de plus en plus spéculatives avec le temps. La part de ces bourses du pétrole dans les quantités de pétrole échangées est devenue plus grande (15-25%, elle reste moins de 30%). Les risques pris ont été plus grands aussi et, après quelques belles faillites, ce marché spot a vu s’établir des opérateurs dominants, des sociétés de « trading », qui sont pour la plupart des filiales ou des firmes adossées aux grandes Compagnies pétrolières dominantes.

L’invention géniale des pétroliers n’a pas été la création de ce marché boursier (il existe des bourses de matières premières comme le blé, le cacao, et pratiquement tous les métaux). Elle réside dans le fait que, peu à peu les compagnies pétrolières ont imposé l’idée que le prix du pétrole est celui qui est affiché en bourse pour des achats-ventes d’ajustement court terme, selon des règles et dans des conditions qui sont dominées, dans les faits, par elles-mêmes. Et, dans le même temps, toute référence au prix de marché au sens précédent du coût marginal de production de long terme du pétrole a disparu. Exit le marché d’échange des biens ; remplacement par un marché boursier d’anticipations spéculatives.

Tout s’est passé comme si le prix du pétrole ne reflétait plus le coût que de grands opérateurs acceptent de consentir pour accéder à de nouvelles ressources pétrolières, mais qu’ils s’établissaient désormais au niveau du prix que certains consommateurs, craignant une relative pénurie, acceptent de payer (de « lâcher ») pour s’approvisionner en quantités de pétrole certes marginales mais indispensables pour eux !

Ce que les firmes pétrolières ont ainsi imposé, avec la libéralisation généralisée, c’est que ces prix boursiers deviennent « la » référence dans la fixation des prix aux consommateurs pendant que les Etats ont tous, ou presque, abandonné leurs propres systèmes de fixation des prix des produits pétroliers au motif de la soi-disant « concurrence » dans ce marché. Or cette concurrence reste illusoire, parce que le marché est totalement dominé par une poignée d’opérateurs, laissant parfois s’établir, à la marge, quelques alibis dominés tels que les grandes surfaces pour les carburants ou le fuel domestique.

Le coup de génie, dès lors, a été de changer la nature de la rente pétrolière. Elle n’est plus une rente minière, différence entre le coût de production d’une compagnie et le prix de marché égal au coût de production de la mine la plus coûteuse en service (la mine marginale). La rente pétrolière est devenue une rente boursière : différence entre le coût de production d’une compagnie et le prix qui s’établit dans une bourse en fonction des anticipations spéculatives des intervenants.

Avec comme résultat, dans la phase pétrolière durable actuelle de raréfaction des ressources disponibles, faite de raréfaction réelle et de raréfactions organisées et supposées, d’obtenir un effet de levier qui augmente de façon significative le volume de la rente. Ce qui deviendra vrai en matière de prix et de quantités dans 5, 10, 15 ans est anticipé alors que cela n’est pas réalisé, ni même certain. Au passage, belle aubaine, l’opération vise à mieux légitimer l’existence de cette rente par un discours officiel : « pensez donc, si le prix du pétrole est passé de 40 à 70 $/b, il est bien normal que le prix de l’essence à la pompe augmente et que cette hausse soit répercutée ». Discours qui ne rencontre que le scepticisme des citoyens, d’ailleurs, bien que personne n’explique officiellement qu’il s’agit d’un prix en bourse et que les coûts de production du pétrole alimentant une pompe à essence n’ont pas varié, ou presque. Les citoyens voient bien, eux, que ce sont les pétroliers qui empochent la différence (et les Etats des pays consommateurs, via leurs taxes proportionnelles, TVA et TIPP), et que leurs profits sont de plus en plus monstrueux !

Tel est le beau résultat de la financiarisation libérale du marché pétrolier mondial.

Imagineriez-vous que votre boulanger augmente continûment son prix du pain et que lui, avec l’appui de quasiment tous les médias, vous donne pour avéré que cela est normal car le prix du blé à la bourse des matières premières de Chicago a atteint ses plus hauts sommets en raison de telle tempête dans le Golfe du Mexique ? Alors que vous savez bien qu’il achète sa farine à des producteurs connus qui n’ont pas augmenté leurs prix et n’ont rien à voir avec le Golfe du Mexique !

L’histoire nous a déjà fourni de beaux exemples de semblables marchés spéculatifs : vers 1450 par exemple, la production de blé était intense dans le Nord de l’Europe alors que la péninsule ibérique manquait de cette ressource vitale ; s’est mis en place alors une exportation de blé par bateau depuis les villes hanséatiques jusqu’à Lisbonne et aux grandes villes espagnoles. Ce transfert, marginal par rapport à la consommation des villes du Nord, a provoqué une hausse considérable des cours du grain, qui ont eu tendance à s’aligner sur les prix espagnols ; et cette hausse s’est propagée du Sud vers le Nord de l’Europe : une rente spéculative s’est ainsi dégagée pour les marchands de blé ; les consommateurs du Nord ont vu le prix de cette matière première vitale augmenter alors que les prix de production n’avaient pas changé.

Dans le domaine du pétrole, de nos jours, ce beau système ne peut fonctionner que parce que les Etats du Nord l’acceptent, alors qu’ils pourraient soumettre les firmes pétrolières à des règles de fixation des prix fondées sur les coûts réels. On mesure la démission des politiques du Nord à cet égard et leur soumission à ces firmes alors qu’au Sud des pays aussi différents que le Venezuela ou l’Argentine ont imposé des règles se référant aux coûts de production.
Mais aussi ce beau système fonctionne parce que les Compagnies, dans la même période, ont été contraintes par les Etats producteurs de leur concéder une part des énormes bénéfices engendrés : désormais ont été introduits dans les accords entre pétroliers et Etats producteurs (et leurs propres compagnies quand ils en ont) des clauses qui font référence aux prix spot des bourses pétrolières, avec des ajustements des rétributions concédées à la clé. Ainsi se dégage un certain consensus entre tous les acteurs, hormis les consommateurs finaux, citoyens exclus du jeu, sur les mécanismes à l’oeuvre qui ne cessent d’alimenter les hausses actuelles pour toutes les bonnes et fausses raisons.

Cerise sur le gâteau pour les pétroliers, s’est établie aussi, récemment, une bien curieuse alliance entre ces compagnies, qui ne cessent de justifier les prix élevés du pétrole (et donc le niveau élevé de leurs profits qui en découle), et certains de ceux que le juste souci des économies d’énergie et de l’avenir de la planète conduit à penser que des prix élevés de l’énergie sont les meilleures incitations à ces économies. En la matière, l’enfer est pavé de bonnes intentions dès lors que, à partir d’une idée juste sur le fait que prix bas et gaspillage sont corrélés, on ne se prononce pas sur la nature de l’appropriation de la rente, nature privée au profit des compagnies, ou bien nature publique, via divers mécanismes, au profit de fonds d’investissements et d’aide aux économies d’énergie, avec en premier lieu des réglementations et des incitations ad-hoc opérant, dans la durée, les transformations nécessaires en vue d’un développement durable, économe en énergie.

Tout le système libéral pétrolier, bien que perçu comme illégitime par la plupart des citoyens, fonctionne admirablement bien encore aujourd’hui pour une autre raison. Nombreux sont ceux qui ont démontré que, pour toute ressource naturelle non renouvelable comme le pétrole, apparaît, un peu plus tôt un peu plus tard, un « pic » de production, moment où les ressources les plus faciles et les moins coûteuses à exploiter l’ont déjà été et où l’on commence à entrer dans la zone de raréfaction et de coûts de production de plus en plus élevés.

S’agissant du pétrole, dans la période de conquête de ses marchés et d’éviction du charbon, le discours officiel a toujours été celui de l’abondance, avec notamment cette belle affirmation selon laquelle, bon an mal an, on découvrait au moins autant de pétrole exploitable qu’on en consommait …, avec 20-30 ans d’années de consommation toujours assurées pour le futur ! Mais sont apparus, ici et là, les premiers signes conduisant à remettre en cause cette belle assurance. Avec, en plus, des menaces politiques et militaires précises, agissantes ou potentielles, sur le système de contrôle et de sécurisation des approvisionnements. Dès lors est apparue, d’abord aux USA, puis dans le monde, toute une école dite du « pic pétrolier », annonçant l’entrée de la planète, (ou l’imminence de son entrée), dans cette zone de raréfaction du pétrole et la nécessité de changer radicalement de politique énergétique en la fondant sur les principes d’un développement durable.

Le grand choc, parmi les élites pétrolières américaines, politiques ou non, est venu avec l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein en 1990, Irak qui avait pourtant été longtemps appuyé par les USA contre l’Iran, ce grand Satan qui avait naguère nationalisé son pétrole puis plus tard avait osé renvoyer le Shah ami. Ainsi, le risque d’un effet domino devenait réel, risque que les immenses ressources des émirats et de l’Arabie Saoudite échappent un jour au contrôle des compagnies anglo-saxonnes. Alors, découvrirent quelques politiques, et conseillers amis de Bush père, s’ouvrirait de fait pour les USA la zone du pic pétrolier. Dès lors, pour eux, que le pic pétrolier soit une réalité ou non dans laquelle on allait entrer, rapidement ou bien plus tard, il était nécessaire de donner le signal qu’il était arrivé, afin de se prémunir de ses effets stratégiques sur la puissance américaine car « qui contrôle le pétrole au niveau de la planète contrôle la planète ».

Il a bien fallu quelques années de plus pour convaincre des cercles plus larges, mais le triomphe de cette ligne stratégique s’est peu à peu imposé : le moment opportun était alors venu, avec Bush fils, d’envahir l’Irak, malgré les risques de l’opération, et d’assumer le fait d’engendrer des prix du pétrole bien plus élevés, mais pour les stratèges américains de cette école, les mécanismes boursiers de fixation des prix de référence via les prix spot étaient en place pour garantir que la rente dégagée serait appropriée par les compagnies pétrolières. Au passage, comme pour les premier et deuxième chocs pétroliers, il était banal pour eux de penser que la dépendance européenne vis-à-vis du pétrole fragiliserait son économie, devenue trop forte, beaucoup plus que celle des USA (les apprentis sorciers conseils n’avaient pas prévu l’importance des hausses des prix de l’essence des 4x4 américains et leur effet sur la cote de popularité de Bush fils, mais cela n’a pas empêché sa réélection)

Nous voici donc entrés dans l’ère du pétrole cher pour le plus grand profit de compagnies et des Etats. En conséquence, nous disaient certains jusqu’à l’an dernier, s’est ouvert un grand boulevard pour le gaz naturel.

En résumé :

Depuis les années 70, la formation des prix sur les marchés pétroliers s’est profondément modifiée : reflétant naguère les coûts des installations à construire pour répondre à l’augmentation de la consommation, ils se sont progressivement alignés sur les prix des échanges sur des marchés d’ajustement ; or ces prix « spot » répercutent toutes les anticipations et toutes les craintes. C’est pourquoi ils créent avant l’heure ce que pourraient être les effets d’une pénurie pétrolière, qui pourtant n’est pas encore d’actualité, et se mettent à flamber sur les bourses de l’énergie.

La conséquence de ce phénomène est un décalage croissant entre le prix du baril de pétrole (calé sur le prix des marchés « spot ») et les coûts réels de production, décalage qui génère une rente boursière considérable.

Ceux qui profitent de cette rente sont avant tout les grandes compagnies pétrolières, mais également les Etats consommateurs (via la fiscalité), et les Etats producteurs grâce au rapport de force créé par l’OPEP. Les seuls perdants sont les consommateurs. Une telle situation nécessiterait une intervention du politique pour ramener le marché au niveau des coûts de production, quitte à ce que les Etats conservent une partie de la rente pour investir dans la préparation de l’avenir.

Le contexte géopolitique tendu, ainsi que les problèmes de raréfaction des ressources qui se profilent, servent malheureusement autant d’alibis pour justifier le niveau de la rente actuelle, que de facteurs de sensibilisation qui devraient nous conduire vers un développement durable.

Enfin, ce qui s’est produit pour le pétrole se met en place maintenant pour le gaz naturel.

2. Du triomphe du gaz naturel à la crise gazière

2.1 le triomphe du gaz naturel via la coopération

Pendant longtemps, le gaz naturel a été un produit associé au pétrole : on cherchait du pétrole, on en trouvait ou pas, mais on trouvait presque toujours du gaz. On le brûlait le plus souvent en torchères, faute de pouvoir le transporter aussi facilement que le pétrole, liquide et non explosif, lui.

Dans les pays industriels qui avaient utilisé le charbon, s’était développé le gaz manufacturé, produit dans des usines à gaz à partir du charbon. Il s’agissait d’une activité de dimension locale, liée au début à l’éclairage public urbain. A partir de ces activités de production-distribution locale, une industrie du gaz naturel allait se créer, avec la généralisation des gazoducs de transport, moyenne puis longue distance.
En Italie du Nord, en France (Lacq), aux Pays Bas (en particulier avec Groningue), utilisant des champs locaux de gaz naturel à l’origine et disposant des clients gaz existant à l’aval, s’est construite une industrie gazière spécifique et quasi-indépendante des grands pétroliers.

C’est sur ces bases que se sont développés ensuite les grands opérateurs gaziers européens qui ont construit une industrie de toutes pièces, fondée à l’aval sur la substitution du gaz naturel, d’abord au gaz manufacturé, puis au charbon et enfin au pétrole, et, à l’amont, sur la mise en commun de ressources techniques et financières de grande ampleur, en coopération interentreprises via des consortiums, pour construire ensemble de grands gazoducs intra-européens basés sur des contrats communs de long terme d’achat de gaz naturel aux pays producteurs : Pays Bas, Algérie, Norvège, Russie.

Quel bel exemple de politique industrielle européenne sur un produit de base vital, appuyée par les Etats concernés et menée en commun par les firmes de chaque pays ! Car aucun pays, aucune firme n’aurait été en mesure de développer une industrie du gaz de telle ampleur à lui seul ! Et tout ceci n’a pu être réalisé que grâce à des contrats de long terme, horizon nécessaire pour assurer la rentabilité d’investissements aussi importants que ceux des gazoducs de grandes dimensions et de grandes longueurs qui désormais irriguent l’Europe. Au cœur de cette politique, se trouvait l’axe franco-allemand, avec une grande politique de coopération entre GDF et Rhurgas, son homologue d’outre Rhin.

2.2 l’invention géniale des gaziers : la formation des prix du gaz fondée sur le « net-back »

Un des éléments clés de la réussite de cette odyssée gazière, de ce triomphe du gaz naturel, réside dans le fait que la coopération ne s’est pas limitée aux firmes, aux Etats consommateurs et à leur clientèle, mais qu’elle a été menée avec succès avec les Etats producteurs sur la base de l’invention géniale des gaziers : la formation des prix du gaz fondée sur le « net-back ». Ce mécanisme permet de résoudre parfaitement la question : quel doit être le prix du gaz naturel en tête de puits de production sur un champ pour que le producteur trouve la juste rémunération de sa ressource fossile, donc épuisable, vouée à disparaître ?

Le prix en net back est obtenu sur la base de la réalité industrielle, à savoir que le gaz pourra se substituer à une autre énergie si son prix est juste inférieur à celui de cette énergie (tenant compte bien sûr des conditions de rendements relatifs, des effets qualité, des coûts d’investissement et de maintenance). En partant de ce prix de substitution « équivalent » à l’aval, et en déduisant l’ensemble des coûts complets de distribution et de transport en amont, (incluant la rémunération des capitaux investis) jusqu’à la tête de puits, on obtient le prix en net back qui valorise au plus cher la ressource gaz naturel et donc qui rétribue le mieux le pays producteur.

Au passage, on notera que ce mécanisme du net-back, qui a été essentiel dans la construction de l’industrie gazière, n’est pas un mécanisme de type rente minière, comme dans le pétrole : la rente gazière (celle qui se dégage par le différentiel de prix final entre le gaz et l’énergie qu’il substitue) est directement affectée au prix de la ressource à l’origine, au pays consommateur. Des marchandages existent, bien sûr, relativement à la vitesse d’amortissement des investissements, au taux de rentabilité des capitaux engagés, à la vitesse de substitution à l’aval qui dépend du différentiel de prix offert, mais le fondement est très sain : in fine, par le principe même, c’est le pays producteur, propriétaire de la ressource naturelle, à qui va la rente gazière.

Dans toute cette période, ont prévalu les notions de coopération mutuelle (entre firmes et Etats consommateurs, entre eux et les pays producteurs), de coopération mutuelle dans la durée, sur le long terme, s’agissant d’une ressource naturelle comme le gaz, vouée à disparaître un jour. Cette conscience du facteur temps, celle de la nécessité d’une gestion raisonnable de cette ressource rare, c’est-à-dire d’une gestion qui doit être envisagée sur plusieurs générations, a conduit en pratique à bannir le gaz naturel des usages thermiques les plus massifs comme la production d’électricité en base. Ce fut le cas officiellement : pendant des années existait au niveau de l’Europe des 12 un règlement interdisant l’usage du gaz dans la production en base de l’electricité. Seule était envisagée la production d’électricité dans des turbines à gaz de pointe, avec une valorisation très élevée. Le gaz en masse était réservé aux fins de matière première pour l’industrie chimique et pharmaceutique.

Aucun Etat producteur d’ailleurs n’accepta de consentir un prix en net back sur le charbon dans les centrales thermiques électriques : cela aurait conduit à des extractions absolument massives de gaz naturel et donc à la très rapide extinction des réserves existantes dans le pays. Signalons également qu’aucun Etat ou firme européenne n’a osé formuler à l’époque une telle demande ni fait pression pour la faire aboutir.

2.3 l’offensive libérale depuis Thatcher : du pétrole « spot » au gaz « spot » : la crise des prix du gaz

Et vint la victoire de la très libérale Mme Thatcher en 1979 en Grande Bretagne, dans un pays qui prenait juste la dimension de ses immenses ressources de gaz naturel en Mer du Nord. Sa bataille politique contre les syndicats, bases du travaillisme, mineurs en tête, a-t-elle été le point décisif ? Peu importe ! Mais pour la première fois, on a vu un pays producteur changer tous les fondamentaux énergétiques de gestion raisonnable de ses ressources naturelles fossiles : le gaz naturel est alors devenu l’énergie quasi unique de la production d’électricité. Et c’est une politique d’extraction massive qui a été mise en œuvre par les grandes firmes pétrolières opérant en Mer du Nord, politique liée à des prix très bas du gaz naturel rendu centrales « tout-gaz » et assurant à ces investissements massifs nouveaux une rentabilité extraordinaire avec amortissements sur 5-7 ans. Avec, en parallèle, le déclassement de considérables puissances thermiques classiques existantes, fonctionant au charbon.

Aucun pays au monde n’a mené une telle politique extravagante de surconsommation de ses ressources naturelles non renouvelables, et ceci en si peu de temps, au nom du libéralisme et de la main invisible du marché censés assurer l’allocation optimale des ressources. Ne détaillons pas l’ampleur des profits générés pour le plus grand bienfait des acteurs de cette tragique pièce, firmes pétrolières en tête. Car ce qui devait arriver est arrivé : en 15 ans, les ressources britannique en gaz naturel de la Mer du Nord ont été consommées, pour l’essentiel, en grande partie dans la production d’électricité (alors que le charbon importé d’Afrique du Sud ou d’Australie aurait permis une production électrique à des coûts raisonnables). Par comparaison, la Norvège a su protéger ses ressources gaz de Mer du Nord et elle les gère dans la durée sur plusieurs générations.

Il a fallu très peu de temps aussi pour que l’addition anglaise de cette faillite soit présentée pour paiement !
En quelques années, depuis 2003, tous les paramètres de l’industrie gazière européenne vont en être changés.
On pourrait se demander pour quelles raisons cela est allé si vite.
En effet, même si la demande britannique de gaz importé est importante, elle est somme toute assez marginale par rapport au volume des approvisionnements en gaz de l’Europe continentale et, de plus, le gazoduc qui alimente la Grande Bretagne depuis le continent, est unique et il n’a qu’une capacité bien limitée par rapport aux autres gazoducs européens.
Bien sûr, en Grande Bretagne, avec la prise de conscience de la fin prochaine du gaz naturel, en deux ans de 2005 à 2007, les prix de référence ont doublé passant de 2-3 $/MBTU à 4-5$/MBTU. Mais ceci n’agit que par les importations anglaises somme toutes très limitées via le continent. Et la Grande Bretagne importe et pourrait accroître ses importations de gaz algérien. Alors, pourquoi ?

Tout simplement parce que les anglais n’ont pas seulement exporté les recettes libérales thatchériennes avec la privatisation des services publics mais ils ont aussi implanté dans le secteur du gaz, service après-vente garanti, les mécanismes libéraux de formation des prix pétroliers ! En effet, comme aux Etats-Unis, les firmes pétrolières très actives dans le gaz en Angleterre ont créé « un marché spot du gaz », sur le modèle du marché spot pétrolier et elles ont imposé comme référence de prix le prix du gaz naturel en bourse.

Aux Etats-Unis, le prix du gaz en bourse il y a dix ans était au plus bas, tombé de 2-3 à 1,5 $/MBTU. Il est aujourd’hui de l’ordre de 8-11 $/MBTU, poussé à la hausse par la comparaison avec les prix atteints par le pétrole sur le spot au-dessus de 60-70 $/baril (là encore joue la demande de gaz pour la production d’électricité). Ce sont les mêmes acteurs, pour l’essentiel, les firmes pétrolières dominantes de l’oligopole pétro-gazier, qui sont les intervenants majeurs sur les marchés pétrole et gaz, désormais en interaction au plan mondial. Au point d’ailleurs que ces mêmes acteurs sont en train de construire un nouveau marché gaz qu’ils pourront mieux contrôler, celui du gaz naturel liquéfié, avec transport par grands tankers venant des immenses ressources gaz de la péninsule arabique, comme pour le pétrole.

Revoici donc le spectre que nous décrivions précédemment au travers du marché du blé mis en place entre les villes hanséatiques et la péninsule ibérique pendant la Renaissance : celui de l’explosion des prix par le biais de transaction marginales en volume mais suffisantes pour installer la spéculation et faire payer les consommateurs.

Désormais, depuis quelques années, existe un marché spot du gaz naturel continental européen, une bourse du gaz.

De fait, suivant les références du libéralisme anglais, chaque pays a créé ce genre de bourse où interviennent des traders et les compagnies énergétiques électricité, gaz, pétrole, via on non leurs filiales. Les quantités de gaz qui sont traitées là sont peu importantes par rapport aux volumes consommés. Ce marché est donc une bourse d’ajustement. Sur ces marchés les intervenants se comportent comme dans une bourse des valeurs, à l’affût de profits court terme. Toutes les anticipations peuvent faire fluctuer les prix, et ce qui est certain c’est que ce fonctionnement dominé par la financiarisation libérale, conduit au pire des processus de contamination du fait même de ces mécanismes : imagine-t-on que le prix du pain pourrait être doublé à Paris et dans toute la France au motif que telle rareté réelle ou imaginaire du pain en Corse a multiplié par deux ce prix dans cette île ?
Ainsi s’est installée en Europe continentale aujourd’hui une véritable « bulle gazière » à caractère spéculatif, dans ces bourses du gaz.

Dans le même temps, non content d’exporter ces bourses, le lobby libéral anglais a aussi instrumentalisé Bruxelles pour faire adopter une politique qui condamne l’existence des contrats gaz de moyen et long terme liant firmes gazières et pays producteurs. Tout cela au motif que « ces contrats font obstacle au libre exercice de la concurrence ». C’est cette politique que dénoncent les pays producteurs Algérie, Norvège, Russie et certaines compagnies gazières car, de fait, elle fragilise complètement les approvisionnements européens existants et futurs et elle rendrait impossible la réalisation de nouveaux grands projets de gazoducs venant d’Algérie et de Russie, faute de débouchés garantis dans la durée par contrats moyen et long terme.

C’est à ce marché, aux prix atteints par cette bourse du gaz, que GDF par exemple, fait référence lorsqu’il veut obtenir des hausses de tarifs. Alors que ces valeurs n’ont strictement rien à voir avec ses coûts d’approvisionnement, lesquels sont fondés sur des contrats de moyen et long terme passés avec les pays producteurs tels que Algérie, Norvège et Russie. En réalité, certains de ces contrats comportent une clause de révision qui prend en compte, avec effets retards, la moyenne de certains prix du pétrole avec, pour quelques cas, certains prix sur le marché spot. Mais, preuve de ses manipulations, GDF (pas plus que les autres) a toujours refusé de fournir les données qui permettraient de faire un calcul transparent de l’évolution de ses coûts d’approvisionnement : à voir l’accroissement régulier de son ratio Bénéfices/Chiffre d’affaires, il est évident que GDF ne fait que gagner dans cette façon totalement opaque de se comporter,.

En résumé :

Le développement de l’industrie gazière européenne a reposé sur des alliances entre firmes pour financer le développement des infrastructures nécessaires à l’acheminement du gaz depuis les pays producteurs jusqu’aux zones de consommation.

Le prix final du gaz était calé sur celui des sources d’énergie concurrentes pour des usages parcimonieux ; il prenait en compte le caractère précieux de ce gaz, ressource rapidement épuisable lorsqu’elle est employée pour des usages massifs comme la production continue d’électricité, et il interdisait de fait de tels usages.

Une fois déduit le coût des infrastructures de transport, de stockage et de distribution du gaz restait une valeur rétrocédéé aux pays producteurs par des contrats de long terme. Tel est le calcul des prix du gaz dit « en net back ».

L’ensemble de ce mécanisme a été profondément perturbé par la révolution libérale opérée par Margaret Thatcher en Angleterre : le gaz de la Mer du Nord a été massivement exploité pour la production d’électricité, grâce à la mise en place d’un marché spot qui le faisait apparaître comme nettement plus compétitif que le charbon. La destruction des mines de charbon, la mise au pas des mineurs, la suppression de nombreuses centrales thermiques classiques ont conduit l’Angleterre à épuiser son gaz en une quinzaine d’années et à engendrer par la suite une flambée des cours de cette ressource sur les marchés spots.

Comme l’Europe a copié l’Angleterre en mettant en place un mécanisme de formation des prix du gaz fondé sur les prix spots, et qu’elle met en cause les contrats de long terme soupçonnés de porter atteinte à la concurrence, la flambée des cours du gaz anglais se propage partout en Europe.

Dans le même temps, les pays producteurs perdent la vision de long terme qui leur permettrait d’entretenir des coopérations mutuellement avantageuses avec l’Europe.

3. Changement radical : cette bourse du gaz a transformé aussi complètement la formation des prix de référence de l’électricité en Europe.

3.1 d’une bourse à une autre : du spot gaz au spot électricité

Dans l’Europe électrique d’aujourd’hui se sont établies, partout, des bourses de l’électricité, qui fonctionnent comme celles du gaz, avec les mêmes acteurs. Ces bourses remplacent les mécanismes qui étaient en place il y a peu d’années dans les échanges et secours entre électriciens, tous fondés sur la coopération et les avantages réciproques nés de l’interconnection des réseaux destinée à faciliter le passage de la pointe et le secours mutuel. A côté des trocs physiques d’échanges réciproques de court terme, étaient en place des échanges fondés sur les coûts de production ou des contrats de partage des rentes dégagées par les échanges. Désormais, dans ces bourses d’électricité, les prix sont ceux qui équilibrent l’offre et la demande mais, comme ces échanges ne représentent qu’une partie très faible de la production totale, les prix fluctuent de façon considérable et sont peu représentatifs ; ils sont en particulier très sensibles aux aléas de température et d’hydraulicité.

Cependant, c’est sur ces bourses que s’approvisionnent les nouveaux acteurs marchands d’électricité fabriqués par la libéralisation et la généralisation de la concurrence (désormais étendue à toute l’Europe pour les fournitures en gros et à l’industrie). Pour proposer un contrat de moyen terme aux clients qu’ils prospectent, ces nouveaux acteurs ne peuvent s’appuyer que sur des prix fondés sur cette bourse, à moins qu’ils ne décident de construire eux-mêmes de nouveaux moyens de production.

En la matière, concentrons-nous sur la référence essentielle qui est celle d’une fourniture plate, en ruban, 24 h sur 24h. La référence en matière de moyen de production pour ce type d’acteur va donc être un Cycle Combiné Gaz (CCG), parce que c’est le moyen le moins cher qu’un acteur en concurrence peut développer avec l’espoir de le rentabiliser rapidement. L’essentiel du coût de production du Cycle Combiné au Gaz sera déterminé par le prix du gaz qu’il consommera. Et, dans la situation actuelle, quelle sera la référence en ce domaine ? tout simplement le prix du gaz atteint en bourse du gaz ! Car les acteurs mineurs n’ont ni le temps, ni les moyens, de développer des gazoducs européens assortis de contrats de long terme.

Ajoutons que le prix spot de l’électricité qui émergera ainsi sera en plus majoré d’un prix du CO2 susceptible d’être consommé par ce même Cycle Combiné au Gaz ; et là la spéculation est portée à son comble : de quoi s’agit-il ?

Depuis l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, les équipements émetteurs de CO2 se sont vus attribuer par les Etats européens un quota gratuit annuel correspondant aux tonnes de CO2 qu’ils sont autorisés à émettre. Ce quota est appelé à diminuer d’année en année pour que les émissions de gaz à effet de serre des Etats rejoignent des objectifs de sobriété. Ainsi, les centrales électriques au charbon, au fioul, au gaz, bref toutes celles qui brûlent des combustibles fossiles, se sont vues affecter d’un quota gratuit de CO2 utilisables comme elles l’entendaient. La répercussion du prix du CO2 sur le prix de l’électricité reflète tout simplement le fait que certains producteurs préfèrent acheter de l’électricité un peu plus chère, à certains moments, plutôt que de consommer le quota de CO2 qui leur a été alloué. La conséquence est immédiate : lorsque le prix du CO2 atteint 30€ / tonne sur un marché de ce gaz qui a également vu le jour et où s’échangent les quotas, le prix de l’électricité sur les marchés spots monte de 20 € / MWh.

Ainsi, désormais, les prix atteints en bourse de l’électricité sont directement liés à ceux atteints en bourse du gaz et ils sont majorés par les prix atteints sur la bourse du CO2.
Dés lors, l’augmentation des prix du gaz sur la plaque continentale consécutive à l’épuisement des ressources gaz de Mer du Nord, et la peur d’une allocation de quotas de CO2 trop faible aux centrales de production d’électricité (ce qui n’a en réalité pas été le cas en 2005, mais on s’en est aperçu trop tard, d’où l’effondrement du prix du CO2 observé en avril / mai 2006) se sont immédiatement répercutées sur les prix atteints en bourse de l’électricité. Par exemple, pour une fourniture en base à deux ans, le prix en bourse se situe environ à 60 euros/MWh alors qu’il s’établissait à 30-35 euros/MWh il y a deux ans (source coûts DGEMP de la production d’électricité). Soit une augmentation des deux tiers au moins !

A la base, c’est la crise des prix du gaz qui a contaminé l’électricité, puisque c’est le cycle combiné au gaz qui a servi de référence sur le marché spot de l’électricité : du fait des mécanismes libéraux à l’œuvre, l’Europe est donc désormais entrée dans une crise des prix de l’électricité

Et ce sont ces prix en bourse que les producteurs d’électricité, EDF en tête, veulent faire reconnaître comme le prix de référence de l’électricité sur lequel devraient être fondés les tarifs aux industriels et aux usagers domestiques !

Bien entendu, comme pour le pétrole et le gaz, ces prix atteints en bourse n’ont rien à voir avec les coûts de production et rien à voir non plus avec les coûts des centrales en développement. Dans le cas d’EDF, le parc nucléaire, qui est dominant, a précisément été construit en raison de la politique énergétique de la France pour disposer d’un prix de l’électricité qui échappe aux prix des hydrocarbures. De plus, le parc de production d’EDF, comme on peut s’en douter, ne consomme pas ou peu de quotas de CO2 et ils ne lui coûtent donc rien. Alors, faire référence en matière de prix de l’électricité aux coûts d’un Cycle Combiné Gaz en pleine crise gaz est une parfaite escroquerie ! Comme si la rente dégagée par le nucléaire français, la différence entre les coûts du nucléaire et les coûts d’une production à base de gaz (ou de pétrole), devait être appropriée par l’opérateur EDF à qui cette construction du nucléaire a été rendue possible grâce à l’appui des citoyens et de l’Etat !

Même en faisant référence à du nucléaire nouveau, en oubliant que le nucléaire existant est pratiquement amorti (son coût de court terme est dans la zone de 15 euros/MWh), on se doit de faire référence au coût du nucléaire en développement, qui est aujourd’hui obtenu soit avec une tête de série EPR dont le coût de production est de 38-40 euros/MWh, soit, ce qui serait plus juste, en se calant sur la série en développement, c’est-à-dire un coût de 32-35 euros/MWh environ (le coût de 46 €/MWh, annoncé par EDF pour EPR récemment, est fondé sur un taux d’actualisation de 11%, reflet d’une vision privée de rentabilité excessive du capital investi alors que le nucléaire ne peut exister que grâce à des garanties publiques)

Ils ont donc parfaitement raison, nos députés de tous bords de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, qui ont sommé EDF d’asseoir ses tarifs sur ses coûts, à savoir en grande partie sur ceux du nucléaire, et non pas sur les prix en bourse de l’électricité ! Coincé par les grandes industries électro-intensives qui disposent de la menace crédible de délocalisation hors de France et à qui il a du concéder l’accès direct aux coûts du nucléaire, le gouvernement a du finalement demander aux électriciens de baisser les prix de leurs offres commerciales pour les rapprocher des tarifs régulés pour les clients qui les avaient quittés (bienfaits de la concurrence à laquelle ils ont cru, ces clients ont subi des hausses de plus de 50% en deux ans !). Ce qui ne l’empêche pas de faire une loi de libéralisation complète pour les clients domestiques en juillet 2007 qui aura pour seul effet immédiat d’autoriser « l’écrémage » des clients riches et stables qui bénéficieront de meilleurs prix en échange de prélèvements automatiques, ce qui mettra fin à la péréquation tarifaire.

3.2 C’est un enjeu considérable que cette bataille sur les prix de l’énergie et les conditions de leur formation

Ou bien nous laissons les libéraux triompher avec leur vision d’une financiarisation généralisée et acceptée, qui fait du pétrole et de ses modalités de fixation des prix la référence admise partout. Et , cela, y compris par cette manipulation de la sémantique désignant par prix de marché le prix d’une bourse, alors que, par exemple, les termes de « marchés financiers » ont toujours désigné des réalités variées qui ne se sont jamais résumées à « marché boursier ». En ce cas, non seulement les firmes énergétiques de l’oligopole pétro-gazier et électrique, agissant désormais à l’échelle continentale et mondiale échappant aux Etats, s’approprieront la rente minière, mais elles s’approprieront toutes les rentes boursières ainsi créées. Pendant ce temps, ces prix élevés cohabiteront avec des consommations d’énergie élevées avec poursuite, comme aujourd’hui, de la course folle qui conduit au réchauffement de la planète et à ses conséquences dramatiques et irréversibles.

Ou bien les prix de l’énergie, électricité et gaz, mais aussi pétrole, seront fondés sur les coûts. Et dans ce cas, une politique énergétique efficace pourra être mise en œuvre : la collectivité pourra fixer des prix de l’énergie plus élevés que les coûts en utilisant le moyen des taxes qui seront collectées par les pouvoirs publics pour être redistribuées sous la forme d’aides et incitations aux économies en énergie et aux énergies renouvelables décentralisées, aides accompagnées d’évolutions réglementaires, le tout visant un développement durable. A ce propos, des changements fondamentaux doivent être mis en œuvre ; il ne suffit vraiment pas de surpayer la production d’électricité avec les énergies renouvelables alors qu’il faudrait créer des opérateurs forts capables de mettre au point et installer des solutions clés en mains, standardisées et bon marché, en matière de chauffe-eau solaires ou de photovoltaïque électrique, avec stockage et appoint. Ce sont ces solutions industrialisées et garanties pour un usage décentralisé qui sont attendues par nombre de citoyens prêts à investir pour apporter leur contribution à la protection de l’environnement ; et leur émergence suppose un recherche-développement et une recherche appliquée ambitieuses que des opérateurs comme EDF et GDF devraient être contraints de mener dans le cadre de leurs contrats de service public avec l’Etat. En l’absence de telles politiques ambitieuses et résolues, la réalité d’aujourd’hui nous montre que l’accroissement de 50% des prix du pétrole et des carburants ne s’est traduite que par des économies très réduites en volumes consommés, alors que les années 1975-85 nous ont montré la voie de ce qui peut être une politique de maîtrise de la demande d’énergie

L’enjeu, n’est pas mince. Il est celui de l’avenir de la planète, de celle dans laquelle nous voulons vivre, de celle que nous voulons laisser à nos enfants.

L’enjeu aussi est celui de la paix ou de la guerre.

Où nous ont conduit les libéraux anglais avec leur idéologie ? A la crise du gaz actuelle qui se répand sur le continent. Et où ces libéraux, relayés récemment par le gouvernement américain, sont-ils en train de nous conduire à propos du gaz : à des tensions géopolitiques considérables, bien relayées par certains médias français, en désignant Gazprom et la Russie, détenteurs d’immenses ressources gaz, comme les boucs émissaires de la crise gaz, boucs qui seraient menaçants pour les approvisionnements de l’Europe.

Alors qu’à l’inverse un pays comme l’Allemagne a construit une coopération exemplaire avec eux, et s’est doté d’un opérateur puissant, combinant électricité-gaz (EON-Rhurgas), capable d’exploiter à fond cette coopération, les libéraux des USA et de Grande Bretagne voudraient nous faire avaler que la Russie doit mener la même politique de gaspillage de ses ressources naturelles que celle menée par les libéraux anglais et leur vendre leur gaz à très bas prix pour produire de l’électricité. Alors que la Russie se voit refuser par les libéraux bruxellois les garanties acquises données par les contrats et les investissements moyen et long terme, cette folle politique libérale pousse inexorablement la Russie sur la voie de la coopération avec les Etats comme la Chine, le Japon, la Corée, l’Inde, etc … qui, eux, sont prêts à s’engager sur les voies de la coopération durable.
Créer de pareilles tensions avec la Russie dont le gaz est nécessaire à l’Europe, c’est affaiblir cette Europe !

C’est, progressivement, créer les conditions d’une logique de guerre, avec une Europe en première ligne.

Nous refusons cette logique, il est temps que les citoyens et les politiques de pays européens reprennent la situation en main ! Et qu’ils imposent une politique de coopération mutuelle ambitieuse dans le domaine de l’énergie dont l’enjeu est l’avenir de la planète et la paix.

Dans cette coopération mutuelle, nous ne sommes pas du tout condamnés à subir les rapports de force d’un pays producteur unique comme la Russie aux ressources gaz immenses.

Il nous faut affirmer que, après avoir mis en tête des priorités la maîtrise de la demande d’énergie, nous refusons de pratiquer une politique « tout-gaz » dans la production d’électricité. Le gaz a sa place, pour les productions de pointe et de semi-base. Dans ces applications, le calcul en net-back de la valeur du gaz pour la Russie lui procurera une valorisation excellente qui lui permettra de gérer ses ressources sur plusieurs générations. Pour notre avantage mutuel ! Pour les Russes, c’est la garantie de bénéfices dans la grande durée ; pour les européens, c’est la garantie d’approvisionnements sécurisés sur longue période.

Et quelles sont les références pour ce calcul en net back ?

Pour les sociaux démocrates allemands, qui ont donné l’impulsion décisive à la coopération durable avec Gazprom, la référence a été le prix de la production d’électricité avec du lignite allemand dans des centrales propres. Pour la France la réponse est évidente, c’est le coût du nucléaire en développement, (cf ci-dessus, soit 32-35 euros/MWh, ce qui donne environ 45 euros/MWh équivalent pour le gaz hors base). Ce sont les mêmes ordres de grandeur : bloqués encore à ce jour en matière nucléaire, les allemands calculent la valorisation de leur lignite en référence au nucléaire français en développement ce qui leur assure les mêmes conditions de tarifs pour les clients électro-intensifs. D’où, d’ailleurs, surgit à l’évidence la nécessité stratégique pour un pays de disposer d’un acteur puissant mariant l’électricité et le gaz pour réaliser cette combinaison indispensable : ici, l’Allemagne avec EON-Rhurgaz nous a montré la voie, et il est vital pour la France avec une fusion EDF-GDF de se doter d’un outil aussi conséquent.

Plus généralement, cette politique ambitieuse de coopération nouvelle à développer, reposant sur un axe franco-allemand fort, devra aussi concerner l’Algérie et les pays aux grandes ressources gaz que sont l’Iran et l’Irak.

Le contenu de cette coopération européenne devra concerner non seulement les contrats gaz et les gazoducs géants à construire, l’association à la recherche et à la production de gaz, mais il devra inclure aussi un programme de développement en commun du nucléaire dans la production d’électricité. Dans l’immédiat, cela devra concerner quelques nouvelles centrales EPR. Mais la priorité, à l’instar de ce que fut la coopération pour Super Phénix, devra être le développement rapide d’un nouveau nucléaire, sûr, et surtout propre en déchets.

Les besoins de renouvellement du parc de production d’électricité en Europe dans les 15 ans qui viennent sont immenses, la rénovation lourde des centrales charbon ou nucléaire, permettant de prolonger leur durée de vie, n’éludera pas le moment où il faudra construire de nouvelles unités. Elles ne pourront être au charbon propre que
pour une faible part, vu les effets CO2. Le gaz, on l’a vu, devra être utilisé avec le souci d’économiser une ressource épuisable. Pour la production de masse de l’électricité, il ne restera que le nucléaire ; ou bien nous menons une politique européenne ambitieuse pour faire émerger un nucléaire nouveau, légitime parce que sûr et propre en déchets, ou bien nous produirons toujours plus du C02 et toujours plus de déchets aux conséquences immédiates ou plus lointaines dramatiques pour la planète et nos enfants.

Dans ce domaine aussi il est tant que les citoyens et les politiques reprennent en main la situation et choisissent eux-mêmes leur avenir.

En résumé :

La mise en place d’un marché spot du gaz, et celle d’un marché du CO2, s’est accompagnée de celle d’un marché spot de l’électricité, dont les prix reflètent les coûts des moyens de production d’électricité à partir du gaz appelés « Cycles Combinés au Gaz ».

De ce fait, les hausses spéculatives constatées sur le marché spot du gaz se répercutent directement sur celui de l’électricité. A ce phénomène s’ajoute l’impact du marché du CO2, lui aussi très spéculatif, sur le marché de l’électricité. C’est pourquoi, les prix de l’électricité sur les marchés spots se sont mis à flamber.

Les opérateurs électriques comme EDF veulent pouvoir caler leurs offres commerciales à leurs clients sur ces prix de la bourse de l’électricité, et que disparaissent les tarifs fixés par la puissance publique. Comme les coûts de production d’un acteur comme EDF sont essentiellement liés aux coûts du nucléaire et qu’ils n’augmentent pas, EDF entend capter ainsi une bonne partie de ce qu’il convient d’appeler la « rente nucléaire ».

Mais comme le nucléaire est un choix collectif, il revient aux citoyens et aux politiques de remédier à cette situation en imposant une modération des prix. C’est ce dont les parlementaires français ont pris conscience mais le gouvernement français poursuit de manière schizophrénique ses projets d’ouverture totale du marché à la concurrence et de privatisation de GDF dans Suez, ce qui interdira l’application d’une politique publique de prix fondés sur les coûts.

Il est donc temps d’en revenir aux fondamentaux : d’abord les économies d’énergie et les énergies renouvelables décentralisées, puis le nucléaire pour la production d’électricité en base, et enfin le gaz pour la pointe ou la semi-base, assis sur une coopération de long terme avec les pays producteurs, en favorisant la coopération européenne sur la base d’acteurs industriels forts. A l’instar de la fusion E.ON / Ruhrgaz, il devient donc urgent de promouvoir en France l’idée de la fusion EDF-GDF.

Nous refusons la logique de la financiarisation libérale de l’énergie qui crée une crise dangereuse. Il est temps que les citoyens et les politiques de pays européens reprennent la situation en main ! Et qu’ils imposent une politique de coopération mutuelle ambitieuse dans le domaine de l’énergie dont l’enjeu est l’avenir de la planète et la paix.