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« Global Europe » : une critique du document politique de la Commission européenne relatif à la compétitivité extérieure de l’UE

Publié par , le 29 mars 2007.

La Commission européenne a publié en juin 2006 un document relatif aux aspects externes de sa politique de compétitivité, jusqu’alors formulée à travers la stratégie de Lisbonne.
A travers le texte suivant, War on Want, l’Aitec et Attac France en livrent une première analyse critique : la politique de compétitivité externe de l’UE procède d’une logique libéralisation exclusivement "corporate-driven". Tournée vers le démantèlement de toutes les entraves à l’implantation et au profit des entreprises européennes, la stratégie présentée par la Commission ne prend en compte ni les droits économiques et sociaux des populations (européennes ou non), ni les besoins de développement de ses partenaires commerciaux extra-communautaires.





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La communication de la Commission européenne diffusée en octobre 2006 et intitulée "Global Europe - competing in the world" vise à articuler la politique extérieure commerciale de l’UE avec son agenda de liberalisation interne. La courte analyse à suivre propose une introduction à cette communication et une critique de la stratégie qu’elle sous-tend .

Origine

Global Europe - competing in the world est la réaffirmation de l’Agenda néolibéral de Lisbonne appliqué aux relations économiques extérieures de l’UE. Le document trouve son origine dans le processus initié par la Commission européenne en septembre 2005 par une étude « Commerce et compétitivité » qui fut alors discutée avec les représentants du monde de l’entreprise lors du 5e Symposium de la Commission sur l’accès au marché à Bruxelles, le 19 septembre 2005.
Le « brouillon » sur les aspects externes de la compétitivité établi par la DG Commerce a été diffusé à partir du 28 juin 2006, en préparation de la discussion du Comité 133 du 7 juillet.
La Commission a publié le document final le 4 octobre, en plus d’un document de travail plus détaillé et de documents complémentaires ; le Conseil de l’UE l’a officiellement reçu en son Conseil des affaires générales du 13 novembre.
La réflexion présentée ici propose une analyse de la véritable signification de cette communication.

Contenu

Global Europe- competing in the world définit les intérêts généraux de l’UE en terme d’accès agressif aux marchés pour la communauté d’affaires européennes, et promeut une stratégie rénovée qui devrait être mise en place début 2007. Une attention particulière est consacrée à une approche « pro active » qui permette l’obtention de nouvelles opportunités d’exportations pour les Entreprises transnationales européennes (ETN). La communication identifie les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux avec des partenaires tels que l’ASEAN, la Corée, le Mercosur, l’Inde, la Russie ou le Conseil de coopération du Golfe, comme des priorités pour faire progresser cet agenda (la Chine est considérée dans une perspective singulière, et a fait l’objet d’une analyse stratégique spécifique intitulée ’Closer partners, Growing responsabilities’, publiée le 24 octobre 2006). Paralèlement, aux fins d’éviter l’accusation d’un repli sur un unilatéralisme européen que signalerait la préférence pour les accords bilatéraux ou régionaux, la communication exprime des engagements par rapport à l’OMC et la reprise des négociations du DDA.

La communication identifie trois axes clés par lesquels l’UE souhaite sécuriser de nouvelles opportunités d’accès aux marchés extérieurs pour ses entreprises :

 Les barrières non-tarifaires : la communication renouvelle le souhait de l’UE de réduire les obstables tarifaires dans les pays tiers, en dépit des difficultés reconnues qu’un tel processus peut causer dans beaucoup de pays en développement (dont des faillites massives et des pertes de revenus importantes). Cependant l’UE souhaite aussi accroître son attention sur l’ensemble des régulations "derrière la frontière" (« behind the border ») qui représentent des entraves au commerce. A cette fin, l’UE propose que la nouvelle génération d’accords commerciaux inclut des droits prioritaires de consultation aux entreprises européennes sur les nouvelles régulations que pourraient introduire les pays « cibles », et que l’industrie accède à des mécanismes de suivi et de renforcement aussi efficaces que l’Organe de réglement des différends de l’OMC (ORD), qui opère seulement sur une base Etat-Etat.

 L’accès aux ressources : en réponse au lobbying effectué par les groupes industriels européens, l’UE identifie dans l’accès non entravé aux ressources naturelles une priorité majeure, et s’engage à lutter contre les problèmes rencontrés par les firmes européennes à cet égard. Beaucoup de pays tiers recourent au contrôle des exportations dans le but de préserver leurs ressources naturelles pour leurs propres politiques de développement et de protection de l’environnement. Par ailleurs, de fortes résistances se sont organisées dans ces pays face à ce qui est perçu comme une attitude néocoloniale. Pourtant l’UE liste un nombre considérable de secteurs, en particulier l’énergie, dans lesquels les contrôles doivent être levés de sorte à ce que l’accès des entreprises européennes à ces ressources soit garanti.

 Nouveaux secteurs de croissance : l’UE place la propriété intellectuelle, les services, les investissements, les marchés publics et la concurrence comme des secteurs qui requerront une action plus agressive à l’avenir. Les multinationales sont déjà parvenu à l’OMC à des avancées favorables concernant la propriété intellectuelle avec l’accord dit ADPIC (accord sur les divers aspect de la propriété intellectuelle lié au commerce), et ce, au détriment premier des pays en développement.
Pour autant, l’UE estime que ces droits doivent être encore renforcés. De façon similaire, l’UE déplore le fait que les services comptent pour les ¾ de son PIB et de son emploi mais seulement pour le quart du commerce mondial. Pourtant les pays tiers ont exprimé leurs inquiétudes croissantes sur les impacts sociaux et environnementaux négatifs qu’aurait une libéralisation de leurs marchés de services au bénéfice des intérêts économiques européens. L’UE cherche à obtenir ou renforcer le droit à investir librement dans les marchés tiers au bénéfice de ses industries, par le biais d’un nouvel accord d’investissement et par l’ouverture des marchés publics aux principales multinationales de transport et de construction européennes. Il est important de voir que Global Europe-Competing in the world s’impose comme un programme de liberalisation interne autant qu’externe. La menace la plus significative introduite par ce programme vient du désir d’adopter « une approche ouverte et flexible dans la mise en place de nos règles », avec l’intention explicite d’harmoniser les règles européennes de façon à ce qu’ils ne créent plus de tensions avec les partenaires aux exigences réglementaires moins élevées. Le Commissaire européen au commerce Peter Mandelson a établi explicitement que cela signifie avant tout un processus de convergence avec le système réglementaire américain, apprécié par le monde des affaires pour la faiblesse de son contenu social et environnemental.

La communication Global Europe confirme que cet agenda est entièrement conditionné par les intérêts privés : « Plus nos pratiques et nos règlements sont cohérents avec nos principaux partenaires, plus cela bénéficie aux intérêts privés européens ». Nulle part ne sont mentionnés les ravages que pourrait causer un tel agenda sur les populations, l’environnement et le modèle social européen.

Analyse

L’attention portée par l’UE à la fois sur les accords de libre-échange et sur la libéralisation interne découle de son échec à atteindre son agenda à travers les instruments multilatéraux.

La tentative de l’UE d’introduire un accord multilatéral d’investissement a d’abord échoué à l’OCDE et ensuite lors de la Conférence ministérielle de Cancun en 2003. La tentative d’ouvrir à l’OMC des négociations sur les marchés publics et la concurrence a aussi échoué à Cancun, alors que le lobby industriel européen a exprimé de façon répétitive sa frustration vis-à-vis des efforts infructueux de la Commission pour ouvrir les marchés de services.
La proposition de l’UE de supprimer les taxes à l’export qui restreignaient l’accès des transnationales aux ressources naturelles des pays en développement a échoué également.
Cette succession d’échecs tient partiellement au fait que les pays en développement ne veulent plus subir les exigences du business européen. La formation de blocs de pays en développement à l’OMC a réussi à contrer les pires excès de l’agenda des pays industrialisés, même si elle a échoué à faire émerger une négociation réellement orientée vers le développement.
L’UE espère clairement qu’elle peut gagner davantage pour ses entreprises à travers la voie bilatérale. Pourtant, on a vu apparaître un front intérieur de résistance à l’agenda libéral de l’UE. L’action des ONG, des groupes de paysans, des syndicats et de diverses forces politiques progressistes a entravé les efforts les plus énergiques de l’UE pour libéraliser l’économie européenne, que ce soit dans le cadre de l’OMC, sur la directive Bolkestein sur les services ou sur le volet libéral du projet de constitution européenne. Cette résistance a diminué la capacité de l’UE à accroître l’accès aux marchés extérieurs pour ses entreprises. Dit plus simplement, l’UE n’a pas été en mesure d’offrir à ses partenaires commerciaux des ouvertures en interne, et en conséquence n’a pas non plus soutiré à ces mêmes partenaires les nouvelles opportunités d’implantation exterieure demandées par les multinationales européennes.

Conclusion

Global Europe - competing in the world représente donc une double attaque : sur les principaux marchés du monde en développement d’une part, et sur les marchés intérieurs de l’Union, d’autre part. Tout en essayant de surmonter les résistances populaires des mouvements citoyens européens, la Commission cherche aussi à permettre aux monde des affaires européens un accès toujours plus libre aux marchés extérieurs à l’Union.

La double menace introduite par cet agenda exige une réponse politique de la société civile de l’UE et à travers le monde qui soit à la hauteur des enjeux.