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Programme Prioritaire de Développement Urbain

Publié par , le 6 mars 2007.





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1. Le projet "Gestion foncière et développement local"

L’AITEC a été partie prenante (2000-2003) du Programme Prioritaire Développement Urbain (PPDU), au sein de sa composante "Maîtriser la ville : habitat et foncier".
Elle a animé, en collaboration avec l’ACAD, un projet intitulé "Gestion Foncière et développement local".
A l’origine de ce projet un constat : les relations entre les associations d’habitants des villes africaines et les pouvoirs politiques locaux -en tout premier lieu les municipalités- ne sont pas faciles, notamment en matière foncière. Ces relations doivent être améliorées au moyen d’une information des uns et des autres (sur la question foncière et sur celle de l’aménagement foncier des lieux d’habitation).
Cette amélioration passe par la formation, la mise au point d’instruments ou de méthodes, la mise à disposition d’expertise au bénéfice de tous les partenaires (associatifs, municipaux et administratifs). L’ambition de ce projet est de contribuer à former un milieu technique local, d’habituer les collectivités locales à recourir à cette expertise et de rompre l’isolement du mouvement associatif.

Ainsi, c’est dans le cadre de ce programme et sur la base d’un texte de problématique "revisiter la question foncière en Afrique Sub-Saharienne" que l’Aitec et l’ACAD, en partenariat avec trois associations africaines (AITB au Burkina Faso, CEDA au Bénin et Espace Lumière au Cameroun) ont pu mener quatres études de cas sur les villes de Ouagadougou (Burkina Faso), Douala (Cameroun), Cotonou (Bénin) et Lomé (Togo).

Ces études ont été présentées, comparées et discutées lors d’un séminaire de formation et de restitution organisé en mars 2002 à Ougadougou, rassemblant les différents partenaires. Il s’agissait de confronter les études de cas et de croiser les analyses des équipes sur la crise foncière à laquelle est en but la majorité des habitats populaires africains. Un regard spécifique a été porté sur les forces et les stratégies en présence.

Ce travail a permis de "re-revisiter" la problématique foncière sur la base de nos connaissance des situations étudiées. "L’essai de caractérisation de la question foncière en Afrique sub-saharienne" en présente une synthèse.

2. Hypothèses de base

Faits et actes fonciers
 Les actes fonciers sont les actes accomplis par les acteurs urbains et ont pour objet ou pour effet l’appropriation du sol (toute appropriation est en même temps et nécessairement l’"expropriation" d’autrui, et "élimination" (au sens étymologique, éliminer : sortir des limites) de toutes les autres personnes qui pourraient avoir la prétention de prendre votre place ;
ü ces biens fonciers sont dans un perpétuel mouvement de valorisation et de dévalorisation où les usagers prennent en main l’aménagement de ce qui est, ailleurs, l’espace public, traité comme une sorte d’espace collectif.

Inégalités sociales et Inégalités urbaines
 L’inégalité d’accès au sol, d’un groupe social à l’autre, est très forte et n’est pas liée à de simples écarts de revenus mais aussi aux différences de statut socioculturel, aux différences "ethniques", ou encore aux différences d’appartenance clientéliste. Elle se double d’une inégalité de maintien dans les lieux (puisque tout le monde n’a pas la même capacité à résister à une expropriation ou à un déguerpissement/expulsion) et de l’inégale capacité à valoriser le sol auquel on a pu accéder et sur lequel on a réussi à se maintenir. Ces inégalités socio-foncières marquent profondément la ville.

La puissance foncière de la puissance publique
 La question foncière est fondamentalement marquée par la présence de la puissance publique qui obéit à une idéologie très forte de filiation coloniale et se trouve disposer non seulement du pouvoir de produire le sol mais aussi de celui d’organiser l’espace de la ville selon des plans dressés à cet effet. Mais l’action publique foncière ne structure plus que la ville utile, centrale et résidentielle et ignore la ville populaire, la ville foncièrement et urbanistiquement inutile, les quatre cinquième de la ville en superficie et en population. Les groupes populaires se sont alors servis eux-mêmes en recourant aux procédés que tous les urbains africains connaissent bien : l’occupation des terres sans maître apparent ou lent à réagir et surtout l’acquisition, en principe illégale, de terres périurbaines à statut dit coutumier.
 Trois formes d’irrégularité sont soulevées : l’irrégularité foncière, l’irrégularité urbanistique et l’irrégularité administrative.
 Enfin, les forces en présence et les processus fonciers sont spécifiques d’un lieu à l’autre alors que l’on s’acharne à administrer le foncier pour lui-même comme s’il s’agissait d’une discipline autonome, à partir des mêmes schémas abstraits. Mais ce point de vue est contredit par la décentralisation : les communes urbaines sont en charge des affaires locales et déclarent à juste titre que la question foncière fait partie des affaires locales ; elles se plaignent de ne disposer d’aucun pouvoir substantiel en cette matière. Dans le même temps, elles se voient chargées de promouvoir le développement local et de gérer leur ville. Pour ce qui concerne l’amélioration et la légalisation des quartiers populaires, la négociation avec les associations d’habitants est très souvent pratiquée. Elles font également appel aux ONG afin de piloter et de financer ces opérations.

3. Leçons tirées du projet "gestion foncière et développement local"

Les trois études de cas menées ont essentiellement confirmé ces analyses et ont permis de les affiner. Ainsi, plusieurs thèmes se dégagent pour la compréhension des processus fonciers et des conflits qui y sont liés :

 La stratégie des pouvoirs publics,
 Les stratégies des familles pour accéder à la terre et en particulier le rôle des associations de propriétaires et d’habitants,
 Les processus de valorisation foncière, de récupération des plus(ou moins)values foncières mis en oeuvre par les familles.

Stratégies des pouvoirs publics

 De façon générale, les études font apparaître que les pouvoirs publics n’ont pas la préoccupation de "faire la ville" pour tous.
Leur seul souci est de faire une ville bien en ordre, ordre urbain et foncier, destinée à une seule classe sociale : la fabrication d’une ville qui soit à la portée du plus grand nombre ne rentre pas dans les préoccupations des pouvoirs publics. Et ceci a des effets d’autant plus importants que l’accès au foncier est une condition forte de l’accès au logement. L’accès au logement passe par la propriété : la terre est vecteur de sécurité et la base physique de la construction par les ménages eux-mêmes.
Dans l’approche des pouvoirs publics, l’habitat spontané n’existe pas : le sol est supposé être nu même si des personnes sont installées dessus, et il sera alors aménagé sans réelle réflexion sur le développement d’une activité économique et commerciale.

Stratégie des familles : Revendications collectives et droits individuels ?

 Dans la pratique, les pouvoirs publics sont maintenant de plus en plus fréquemment confrontés à certaines réalités et aux réactions des habitants. La grande nouveauté et notamment sur le secteur 16 de Ouagadougou est que les habitants ont en partie réussi à se faire entendre, reconnaître et qu’en quelque sorte, la puissance publique les a "aidés".
Pour accéder à un logement, les familles doivent « ruser » contre la « ruse de l’administration » et s’interroger sur ce qui motive la façon de faire des pouvoirs publics : pourquoi à chaque fois que la puissance publique veut aménager, déguerpit-elle plus qu’elle ne loge ? Pourquoi, profite-t-elle du relotissement d’un quartier (ou même d’un village) pour installer ses protégés, comme si la terre était une monnaie d’échange ou une récompense et ce, même si ladite terre appartient officiellement aux gens du quartier ou du village en question ?

 Par ailleurs, la confrontation avec une expérience de gestion sociale de l’eau dans un quartier de Buenos Aires (Argentine) a permis de recadrer les échanges dans une approche plus globale et a notamment permis de mener la réflexion sur les modalités d’action sociale dans un quartier populaire en situation d’illégalité foncière : Quelles relations entre la question foncière et les autres actions d’aménagement et de développement du quartier ? Quelles relations avec les autres fournisseurs de services publics ?

L’expérience argentine repose sur une démarche collective et amène à s’interroger sur les limites de l’arbitrage entre cohésion sociale et liberté individuelle. En Afrique, on observe en revanche des revendications collectives de droits individuels. Les deux études de cas réalisées à Ouagadougou mettent en évidence des revendications individuelles d’accès à la propriété et on peut considérer qu’il n’y a pas de garantie collective. Mais on pourrait en revanche passer par une étape où les droits sont défendus collectivement pour finalement être accordés individuellement.

 La question de "l’apprentissage" est également fondamentale : les familles les « plus organisées » dans la revendication de leurs droits ont souvent été menacées dans le passé et savent ce que perdre l’accès à un droit signifie. Y a-t-il une mémoire et un apprentissage de la lutte pour le droit au logement ? Un seuil « des exclusions » qui justifie et motive la défense de ses droits ? Nous ne sommes pas confrontés à un problème foncier mais à l’inégalité d’accès aux droits économiques et sociaux : Il s’agit d’un problème politique.
Une approche technique peut néanmoins être une entrée intéressante et « utile » pour instaurer un cadre de négociation et de partenariat entre des acteurs divers que peuvent être les associations d’habitants, les techniciens et administratifs municipaux, des associations intermédiaires etc. mais dans tous les cas, la politique de développement urbain doit être fondée sur la défense des droits économiques, sociaux et culturels.

Changement d’échelle : du quartier à la ville

L’expérience africaine est remplie d’expériences (aménagement, reviabilisation etc ) mais "d’expériences-alibi" qui ne sont pas des politiques organisées, institutionnalisées et qui renvoient à la défense des droits de tous. C’est le piège du micro-projet qui gère la pauvreté : on gère sans ambition de changement social, sans perspective de long terme. Par ailleurs, ses expériences ne sont pas reliées les unes aux autres et sont souvent rattachées à des intervenants extérieurs (AFD, FSD, UE...). C’est une constellation d’expériences positives mais isolées et qui ne constituent pas une politique. Pendant ce temps, la gestion urbaine continue de chasser de la "belle ville", toujours un peu plus loin, une part importante de la population.

La question du changement d’échelle se pose : Comment passer d’une expérience sur un quartier à l’échelle de la ville ? Quelles sont les implications de l’action locale sur le reste de la ville ? Il apparaît que cette question ne peut se poser sans une implication forte des pouvoirs publics.

Emergence de nouveaux acteurs

L’émergence de nouveaux acteurs et le dynamisme de la population qui essaie de s’adapter pose la question de la place des associations de quartier pour mener ces chantiers : Comment les accompagner dans leur démarche et les aider à s’intégrer dans un cadre institutionnel ? Quel type de projet penser ?

En effet, les trois études, menées en partenariat avec des ONG locales, ont mis en avant la présence d’une multitude d’associations de base, plus ou moins organisées et visibles, mais existantes et actives, poursuivant des objectifs collectifs mais aussi des intérêts particuliers. Comment prendre en considération leurs attentes, leurs revendications, comment leur permettre de faire appel à une expertise sociale locale et de la développer eux-même ? Quelle place doivent occuper les associations françaises ? Quel type de partenariat doivent-elle porter ? Comment également inciter les associations à élargir leur champ de vision et de préoccupation et par exemple à prendre en compte les "locataires" des bâtiments dont la légalité foncière est contestée (les associations ne défendent que les propriétaires résidents considérant les locataires soit comme quantité négligeable, soit comme les hommes de paille d’investisseurs qui ne construisent que dans l’espoir d’obtenir un dédommagement, éventuellement sous la forme d’une parcelle de compensation) ?

4. Esquisse d’un programme d’actions en direction des associations de base, des ONG nationales et sous régionales et des ONG internationales

Il s’agit de décrire les actions à entreprendre à court et à moyen terme par les associations qui oeuvrent dans le domaine foncier en Afrique.

 Le premier objectif est de constituer en pôles de compétences les Ong nationales ou sous-régionales (ensembles d’Etats voisins formant un ensemble géographique) qui se mettront au service des associations de terrain.
Les compétences en question sont des savoir et des savoir-faire en matière d’aménagement et de conduite d’opération. Ce sont également des savoir-faire en matière de représentation et de négociation.
Ces compétences sont soit internes, propres soit détenues par des consultants et collaborateurs externes facilement mobilisables.

 Les municipalités connaissent, toutes choses égales par ailleurs, le même déficit en compétences, même si la possibilité de recourir aux services d’Etat n’est pas à exclure (avec les risques que l’on sait). On doit admettre dans ces conditions que le réseau des consultants associatifs doit servir aussi les communes. Cette conception est conforme à l’idée de décentralisation fondée sur le développement local, de tous les acteurs locaux, de toutes formes et statuts.

 On aura soin de ne pas confondre les associations de terrain ou de base -celles qui luttent dans leurs quartiers- avec les ONG nationales et sous-régionales. Les associations tiennent le terrain, organisent le travail social... Les ONG répondent à leurs demandes, les appuient techniquement et financièrement, s’efforcent d’insérer le travail associatif dans un projet plus vaste, plus permanent, plus politique au sens originel du terme.
Il est normal qu’une association de terrain soit éphémère que son activité connaisse des hauts et des bas. Il revient à l’ONG nationale ou sous-régionale d’assurer la permanence du mouvement.

 Quant aux ONG internationales, elles n’ont à tisser un réseau dense d’ONG nationale ou sous-régionale et le mettre en contacts avec le Nord et les bailleurs de fonds lointains.
Les conflits fonciers ne seraient pas ce qu’ils sont si un minimum d’urbanisme était pratiqué non comme une prérogative municipale mais comme une activité de consensus résultant notamment d’une négociation entre les collectivités locales et les populations représentées par les associations et les ONG nationales. Un tel urbanisme ne peut pas être d’un grand raffinement. Il s’agit de dire en gros ce qui est inconstructible et ce qui est constructible dans un site urbain donné, au niveau de l’ensemble du site urbain puis quartier par quartier. Ces prescriptions doivent être acceptées et appliquées sur le sol. Et les manquements sévèrement sanctionnés. Les notables auront à donner l’exemple.

 La manière la plus pédagogique d’introduire dans la gestion sociale et territoriale un peu d’urbanisme est de se lancer dans une opération concrète, par exemple de légalisation d’habitats populaires.

 Les efforts du programme doivent porter également (en même temps ou préalablement) sur la stabilisation des ONG nationales ou sub-régionales (stabilisation institutionnelle, financière et en personnel permanent). Actuellement elles vivent au rythme des projets lancés par le Nord et des crédits distribués par ces projets. Il n’est pas question de leur assurer une sorte d’institutionalisation éternelle, quasi étatique. Mais de là à leur faire subir les asphyxies puis les sur régimes qu’elles connaissent présentement... Pourquoi ne pas exiger de chaque bailleur de fonds qu’il s’engage à employer régulièrement (avec régularité) les ONG nationales et subrégionales.

 Toutes choses égales par ailleurs, le développement et la stabilisation d’une expertise locale doit être considérée comme un sous produit de la stabilisation du milieu des ONG mais aussi comme on l’a dit comme un objectif délibéré des municipalités. Un plan de soutien pourrait être proposé par les associations nationales d’élus locaux assistées du Programme de développement municipal.

Enfin, la situation financière des ONG et des associations africaines dépend en grande partie des projets de coopération menée en partenariat avec des intervenants extérieurs (UE, AFD, ONG...). Elle est déterminante dans la capacité à créer les partenariats les plus pertinents et pour la pérennité des actions entreprises. Il faut donc trouver les moyens institutionnels et financiers, pour que les associations africaines, de base ou intermédiaires, puissent bénéficier d’une situation financière leur permettant d’exister et de s’impliquer dans des projets de développement urbain. C’est également une des conditions pour qu’elles participent d’une expertise locale de qualité. Elles connaissent les situations locales et doivent être capables d’accompagner et d’interpeller l’action publique.


l’AITEC, avril 2003