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Occupation et régularisation foncière au regard des droits au logement et à la ville

Publié par , le 5 mars 2007.





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Déclaration de l’AITEC dite de Mexico du 9 juin 1994

L’AITEC s’est donné pour objectif de réfléchir aux fondements politiques et philosophiques des pratiques scientifiques, techniques et professionnelles. L’association propose au débat public les réflexions issues de ses travaux qui prennent la forme de déclarations.

L’AITEC a été engagée dans la préparation et dans le déroulement du séminaire international de Mexico, du 24 au 26 février 1993, sur « l’accès des pauvres au sol urbain : nouvelles approches en matière de politique de régularisation foncière dans les pays en voie de développement ». Le séminaire a regroupé quatre-vingt professionnels de dix-neuf pays intervenant dans des centres de recherche, des ONG, des institutions nationales et internationales, sur des programmes de régularisation foncière. Un document d’orientation reprend les conclusions et recommandations adoptées à l’issue du séminaire.

La déclaration de l’AITEC propose au débat public des positions sur certaines questions fondamentales, abordées au cours du séminaire, en matière de droits au logement et à la ville.

1. Le séminaire international de Mexico a adopté la définition suivante : « La régularisation de l’habitat donne un contenu concret au droit à un logement décent, à travers un processus qui inclut des méthodes permettant de reconnaître l’occupation (au sens d’occupation du sol en dehors des procédures légalement organisées) et de légitimer l’accès des habitants au crédit et aux services ». Le séminaire a insisté pour que les programmes de régularisation foncière soient considérés comme faisant partie des méthodes de réhabilitation et de production de l’habitat et des techniques d’aménagement et de production foncière. Il a rappelé que la diversité des pratiques collectives des habitants engagés dans ces processus fondent le caractère particulièrement innovant des programmes de régularisation foncière. Ces définitions et ces positions sont d’un très grand intérêt. Elles ouvrent de nouvelles perspectives pour ceux qui ont pour préoccupations le logement des plus démunis.

2. Les programmes de régularisation ne sont pas des moyens techniques en réponse à un problème qui ne viendrait de nulle part.
Ces programmes sont là parce que les plus pauvres et les exclus n’ont d’autres moyens de se loger que de fonder des « établissements irréguliers ». Le développement de ces programmes n’est pas une réponse à la question qui reste fondamentale : pourquoi une partie et parfois la majorité de la population est-elle contrainte à habiter dans l’illégalité ?

3. Les négociations entre les habitants, d’une part, et les décideurs économiques et politiques, de l’autre, constituent l’étape décisive d’une procédure de régularisation. Cette méthode de résolution des conflits est intéressante dans la mesure où la négociation implique la reconnaissance de l’autre, en l’occurrence des habitants, et parfois l’acceptation de leur autonomie.

4. La régularisation est une forme de production foncière. Elle ne concerne pas seulement la sécurité foncière mais aussi l’amélioration de l’habitat, la réhabilitation des équipements, le développement des services... Autrement dit la promotion de la citoyenneté, la consécration d’un droit à la ville au bénéfice de populations qui en étaient privées, parfois complètement. Les programmes de régularisation sont-ils des programmes correctifs destinés uniquement aux plus démunis ? L’expérience montre qu’il est dangereux de spécialiser à l’excès la recherche d’une solution pour les plus démunis au point d’exclure ou simplement d’oublier les autres couches sociales notamment moyennes. On risquerait d’obtenir des résultats inverses de ceux qui étaient souhaités, par exemple l’accaparement des logements populaires ainsi mis sur le marché par les ménages des classes moyennes. L’objectif est celui du logement pour tous. Il inclut le logement des plus démunis sans lequel il ne saurait être atteint. Il n’est pas exagéré de considérer que les opérations de régularisation sont les seules manières concrètes de produire des logements au bénéfice des plus démunis.

Rares sont les politiques de l’habitat qui y pourvoient. Il faut l’occasion de ces opérations pour qu’un tel objet soit officiellement affiché. Les programmes de régularisation, dans l’ensemble de cette offre, constitueraient alors un outil spécifique, parfois le seul, qui serait mis en place au bénéfice exclusif des plus pauvres.

5. Donner une légitimité aux programmes de régularisation a le très grand intérêt de mettre en avant l’importance primordiale de l’accès au sol, de la sécurité foncière. La légitimité des programmes de régularisation participe de la légitimité de l’accès au sol pour tous. Mais accepter de légaliser des occupations, c’est évidemment contrevenir aux règles ordinaires de l’appropriation légale, c’est remettre en cause l’État gardien de l’ordre public et juridique et aussi les procédures habituelles tant publiques que privées d’accès au sol. D’un coup les usurpateurs deviennent de paisibles usagers fonciers et parfois de paisibles propriétaires.

6. La légitimité de l’accès au sol pour tous ne débouche pas automatiquement sur le droit d’occuper toute terre. Le droit d’occuper se heurte à un obstacle de taille : la possibilité pour les plus puissants de s’approprier sans limites le sol urbain. À moins de réserver le droit d’occuper aux plus pauvres, ce qui n’est pas compatible avec le caractère universel d’un droit. Autrement dit, la reconnaissance d’une liberté fondamentale d’occuper aurait pour conséquence de donner l’avantage aux plus puissants, à ceux justement qui disposent de la plus grande capacité économique et matérielle d’occuper. C’est donc le droit au logement pour tous, et non le droit d’occuper, qui fonde les programmes de régularisation. Ce droit au logement pour tous justifie que les habitants exclus des processus réguliers occupent une partie du sol urbain ; que le maintien sur place soit considéré comme une règle à appliquer ; que des programmes spécifiques soient mis en œuvre. Les droits au logement et à la ville doivent être précisés. Si les droits dans leur énoncé sont universels, leurs conditions d’application dépendent des possibilités de chaque société. Le droit au logement décent, c’est le droit au logement qu’une société peut assurer à tous ses membres. C’est la possibilité d’accès aux moyens de se loger. Le droit à la ville, c’est d’abord l’accès à la consommation collective, aux services urbains, aux infrastructures et aux équipements. L’égalité des droits implique que les normes urbaines soient définies en fonction de la population et des besoins et non en fonction des seuls revenus.

7. Les programmes de régularisation ne sont souvent que des projets pilotes, expérimentaux. Le problème principal est celui du changement d’échelle, du passage à la vraie grandeur... Ce changement d’échelle est possible. À condition toutefois que les conditions de l’élargissement puissent être réunies.Le passage à la vraie grandeur permet-il de répondre à l’ensemble des besoins en logement ? L’accroissement du nombre des exclus, le déficit de plus en plus grand en logements et services urbains, l’approfondissement de la crise du logement et de la crise urbaine dans les pays les plus riches ont de quoi rendre pessimistes. Pour autant, est-il possible de répondre à la question du logement dans un système libéral ? Historiquement, il y a peu d’exemples. Le logement social en France dans les années soixante a permis, tant bien que mal, de loger une part importante de la classe des ouvriers et des employés. En Europe du Nord, dans les années soixante et soixante-dix, aux Pays-Bas, en Suède, en Allemagne Fédérale, la situation du logement pouvait être considérée comme convenable. Ailleurs, on ne peut citer que les cas, assez atypique de Singapour.Il est peu réaliste aujourd’hui de penser que la question du logement et de la ville puisse être résolus sans modifications profondes du système libéral. Des améliorations substantielles sont toutefois possibles. Elles peuvent valablement inaugurer de nouvelles voies de réforme.

8. La question du désengagement de l’État est plus complexe qu’il n’y paraît. L’ajustement structurel généralisé restreint les transferts et les moyens de réduire les inégalités. Les États ne se désintéressent pas de logement, mais ils considèrent leur politique du logement et leur politique urbaine comme simples composants de leur politique sociale et de leur politique de maintien de l’ordre. Le droit au logement recule avec la progression des exclusions. Les États s’en sentent de moins en moins responsables. De toute manière, l’État n’est pas appelé à se substituer au marché. La question est celle du rapport entre marché, État et démocratie. C’est à l’État d’assurer une certaine continuité institutionnelle : sans elle il n’y a pas de politique globale et efficace. C’est à l’État de garantir un cadre institutionnel démocratique permettant aux acteurs et opérateurs d’ajuster leur comportement. C’est ce cadre institutionnel qui doit garantir le droit d’association sans lequel la participation serait illusoire. La montée en puissance des municipalités mérite qu’on s’interroge sur l’articulation entre l’espace national et l’espace municipal. L’espace national reste le seul dans lequel il soit possible d’envisager une politique de transferts correspondant à une démarche de réduction des inégalités, à une possible correction des effets du libéralisme. C’est l’espace dans lequel s’organise le rapport entre marché et démocratie, entre nationalité et citoyenneté. Aujourd’hui, l’espace municipal apparaît moins contraint comme espace de transformation que l’espace de l’entreprise, l’espace national ou l’espace mondial. Il est possible, de façon volontariste, d’y construire de nouveaux rapports positifs entre développement et démocratie.La municipalité peut développer de nouvelles méthodes de résolution pratique de la question du logement parce qu’elle semble contrainte de prendre la ville comme elle est dans toutes ses composantes, dans toutes ses dimensions. Et comme elle ne se considère pas comme l’État, investie d’une mission de gardien de l’ordre juridique, elle est amenée à conduire, à gérer toute la ville, la légale comme l’illégale ; par là aussi elle s’autorise à imaginer toutes sortes de montages juridico-institutionnels qui font la part belle aux organisations associatives et non gouvernementales.Cette capacité municipale est cependant limitée ou conditionnée :

 il est nécessaire que la municipalité pratique une démocratie au moins participative ;
 il est difficile d’imaginer qu’une municipalité soit porteuse d’une capacité de transformer ses pratiques et projets en politiques, au niveau étatique et national...On pourra cependant faire remarquer que certaines municipalités dirigent des villes pluri-millionnaires et que la multiplication des projets de régularisations dans de telles villes est alors un fait politiques de première grandeur.

9. Les professionnels n’ont pas le monopole de la compétence. La culture professionnelle naît d’interrogations : sur les questions posées à travers les pratiques et les luttes, sur la pertinence des techniques par rapport aux objectifs, sur le rapport entre les valeurs de référence, les droits et leurs conditions d’application. Elle nécessite aujourd’hui un débat sur l’intermédiation. Elle passe par la mise au point de méthodes simples et transparentes, et, en conséquence, par le refus de la fatalité de la corruption et par l’exigence d’une honnêteté tant matérielle qu’intellectuelle.L’accroissement du niveau de compétence des acteurs apparaît indispensable. Elle ne se limite pas à la compétence des professionnels. Elle nécessite de tous, habitants, décideurs, chercheurs, animateurs d’associations, professionnels, la recherche de nouvelles formes de compétences et d’une culture professionnelle élargie à développer très largement au-delà des disciplines classiques de l’urbanisme, de l’aménagement foncier et du génie civil. Ces professionnels ont pour première tâche de s’assurer non seulement de la faisabilité des opérations de régularisation restructuration mais aussi de leur productivité. Afin de satisfaire plus facilement à cette dernière exigence, on peut les inviter à éviter les situations trop complexes : sites impossibles à aménager en raison de leur pente ou de leur inondabilité, divisions profondes de la population paralysant tout développement social...Il reste aussi à l’imiter l’ambition technique et sociale de certains professionnels et opérateurs : en restructurant et en légalisant on ne saurait prétendre promouvoir de nouveaux quartiers modèles, de nouvelles organisations sociales et politiques, pourvus de toutes les qualités, une sorte d’avant-garde.Enfin, du point de vue urbanistique, le fait de traiter la ville telle qu’elle est, sans référence à la légalité de l’installation de la population, ne peut avoir pour corollaire d’accepter que la ville se fasse d’elle-même, que les quartiers populaires et résidentiels captent à leur seul profit l’effort public d’équipement... Un urbanisme « préventif » minimum ainsi qu’une régu-larisation sociale minimale restent des objectifs à poursuivre en même temps que la multiplication des opérations de régularisation.

AITEC, le 9 juin 1994 et le 9 mars 1995