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Le tiers monde et l’état de la dette à la veille de 1989

Publié par , le 5 mars 2007.





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La dette du tiers-monde fait une fois deplus la une des journaux, mais les commentaires catastrophiques d’il y a deux ans sont aujourd’hui remplacés par des soupirs de soulagement quand ce ne sont pas des cris de victoire.
La réunion de Toronto en particulier vient d’être saluée comme un tournant décisif pour la solution du problème.

Qu’en est-il en réalité ?

Une première constatation s’impose : il est vrai que beaucoup de choses ont changé, de façon contradictoire quelquefois, dans plusieurs domaines et dans plusieurs directions.
Quelques points importants méritent d’être soulignés :
Il n’y a pas eu de crise générale du système planétaire de paiement. La conjonction des rééchelonnements et des nouveaux crédits a permis de maintenir un niveau minimal de transferts dans les pays du Tiers Monde. Les banques et les états créanciers ont ainsi évité ce qu’ils craignaient le plus : l’interruption du paiement des intérêts. La machine a continué à tourner, à rythme réduit, au prix d’une augmentation continue du volume global de la dette.
Il n’y a pas eu, pour autant, de redressement économique. La misère s’est accrue dans un grand nombre de pays en même temps que l’inégalité entre les riches et les pauvres. La relative stabilisation financière, apportée par les politiques d’ajustement structurel, n’est pas venue d’une reprise économique mais d’une diminution massive des dépenses publiques (santé, enseignement, protection sociale) et de la consommation. L’équilibre précaire ainsi obtenu est un « équilibre par le bas » qui n’a créé nulle part les conditions d’une relance économique.
Bien au contraire, la persistance de la crise mondiale (diminution de la demande et baisse des cours des matières premières notamment) a rendu impossible le développement économique du Tiers Monde. Les pays engagés dans les processus d’ajustement ne voient toujours pas le bout du tunnel, tandis que de nouveaux pays doivent s’y engager à leur tour sous la pression des événements... et des grandes puissances.
Les institutions financières et les états sont partagés entre la satisfaction d’avoir évité la banqueroute, (en reportant toujours à plus tard, par le jeu des ré-échelonnements, un montant accru d’échéances) et le sentiment d’une insécurité croissante, lié à l’accumulation de leurs créances insolvables et à la montée d’une « menace sociale » chaque jour aggravée par les rigueurs de l’ajustement.
Banquiers et trésors publics n’ont pas cependant le monopole de la réflexion et de l’initiative. Les populations du Tiers Monde réagissent de plus en plus contre les politiques d’ajustement qui leurs sont imposées, obligeant parfois à les remettre en cause, au moins quant à la répartition des charges. Dans les autres pays, on observe une conscience croissante de l’importance, de la nature et de complexité de ces problèmes. Des courants très divers, litiques, syndicaux, professionnels, culturels, religieux...) se mobilisent, en particuliers à travers les campagnes des ONG dont les manifestations organisées au mois d’octobre prochain à Berlin, à l’occasion de l’Assemblée annuelle de la Banque Mondiale et du FMI (et auxquelles l’AITEC apportera son concours) marqueront une étape importante. C’est à la lumière de toutes ces évolutions que nous pouvons apprécier les mesures nouvelles qui nous sont proposées aujourd’hui en même temps que les chances de leur dépassement.

Des quatre observations précédentes nous pouvons tirer trois conclusions principales pour notre action à venir.

1) Contrairement aux affirmations à la mode, le problème de la dette n’est pas résolu.
Il n’a pas perdu de son importance. Il n’est cependant qu’un aspect particulier du problème du développement. La dette elle-même n’est qu’une conséquence du sous-développement, en même temps qu’un facteur de son aggravation, mais en aucune façon sa cause principale. Elle n’est à bien des égards que l’exportation de la crise des pays industrialisés vers les pays du Tiers Monde. Depuis de nombreuses années, elle n’est pas seulement l’arbre qui empêche de voir la forêt mais le masque sous lequel les experts officiels s’efforcent de dissimuler la véritable nature et les véritables causes du déséquilibre économique mondial. C’est pourquoi toutes les mesures envisagées pour « gérer la dette » ou même pour la réduire, ne peuvent avoir aucun effet positif à long terme, aucun effet décisif en termes de développement si l’on s’efforce par là d’éluder les questions fondamentales du système monétaire mondial, des échanges commerciaux et de la stratégie du développement elle-même, par crainte de mettre en cause les intérêts des privilégiés, à l’échelle internationale comme à l’intérieur de chaque pays.
Toute solution au problème de la dette qui ne poserait pas en même temps de celui de développement de l’organisation économique mondiale et du rapport des forces sociales dans les pays eux-mêmes ne ferait, dans le meilleur des cas, que repartir à zéro pour en revenir progressivement à la même situation d’endettement, de misère et d’inégalité.

2) Nous savons bien cependant que nous ne changerons pas l’ordre économique international d’un coup de baguette magique. Les solutions partielles ne sont pas négligeables, à condition qu’elles s’inscrivent dans une perspective de développement et de progrés et non pas dans le sens contraire.
La plupart des mesures techniques à l’ordre du jour sont à cet égard ambivalentes comme le montre la pratique des conversions de créance en participation (equity swap) dans certains pays d’Amérique du Sud. Elles peuvent être la base d’une nouvelle alliance, pour un nouveau pillage, entre les entreprises multinationales et une fraction des classes dirigeantes et possédantes du pays.
Dans un autre contexte, appuyé sur un autre rapport de force, elles peuvent être aussi, sous le contrôle des organismes de planification et des banques centrales, une contribution utile à l’allégement de la dette en même temps qu’au financement du développement.
D’une façon générale, ces techniques ont pour conséquences un renforcement du rôle de l’Eat et de ses structures financière dans la gestion de la dette, aussi bien privée que publique. Cette évolution est elle-même ambiguë quant à son origine et à ses conséquences. D’une part, elle correspond au souci des banques de dégager leur responsabilité et de se réfugier derrière les pouvoirs publics. D’autre part, elle renforce le caractère politique du problème et crée de ce fait un environnement plus favorable aux pressions des ONG et de l’opinion publique en générale.
Les mesures préconisées à la rencontre de Toronto vont également dans ce sens. Elles devraient se traduire par une réduction du poids de la dette pour les pays les plus pauvres, dans une proportion moindre qu’on ne l’a dit (puisqu’il s’agit seulement des dettes publiques « rééchelonnées ») mais quand même significative.
Elles peuvent donc ê« e considérées comme une inithtive positive importante, qui ne pourra cependant porter tous ses fruits que si elle signifie vraiment un changement de doctrine permettant d’aller plus loin, vers l’indexation des remboursements aux recettes d’exportation et vers la reconnaissance de « l’illégitimité » d’une partie de la dette, par exemple.

3) En attendant la possibilité d’une remise en cause plus fondamentale de l’ordre économique international, la bonne ou la mauvaise utilisation des innovations en matière de gestion de la dette, dans l’intérêt des populations ou dans celui des minorités privilégiées, ne peut dépendre que du rapport des forces au niveau de l’opinion publique et de la société civile tout entière.
C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier la campagne entreprise par les ONG, en France et à l’échelle internationale, qui est à la fois une campagne d’information, de formation et d’action :

 information pour sensibiliser les citoyens et leur faire prendre conscience d’un enjeu qui les conceme tous, puisqu’il est en dernier ressort celui du développement économique mondial, du progrès social et de la paix ;
 formation et recherche pour exercer un contrôle vigilant sur les mesures proposées par les experts et pour pouvoir proposer des orientations nouvelles ;
 action, enfin, pour peser sur les centres de décision, appuyer les initiatives de progrès, empêcher leur enlisement dans la procédure comptable, imposer de nouveaux pas en avant, créer les conditions d’un changement plus profond du système économique.
C’est dans cette perspective que l’AITEC entend poursuivre avec les autres ONG de France et du monde entier, l’action entreprise dans ce domaine depuis plusieurs années.

Juin 1988