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Une décennie perdue peut en cacher une autre : l’OMC en crise

Publié par , le 26 juillet 2005.

GouvernanceOMCEconomie



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En décembre se tiendra à Hong Kong la nouvelle réunion des Etats membres d’une organisation fortement décriée : l’OMC. Minée par l’échec de Cancun (2003), l’institution a de plus en plus de mal à rester chef d’orchestre de la gouvernance mondiale du commerce. Certains Etats, les USA en tête, jouent désormais plus volontiers la carte du bilatéralisme commercial que celle du multilatéralisme construit par consensus. On constate donc un décalage grandissant entre l’agenda des négociations et leurs mises en œuvres pratiques sous forme d’accords multilatéraux. Le blocage est devenu systémique et ne permet plus aucune avancée ; or maintenir un tel statu quo ne peut durablement satisfaire ni les Etats membres, ni les autres parties prenantes des questions commerciales internationales. Pour cette raison Hong Kong représente une éventuelle planche de salut pour l’OMC de reprendre la main sur l’ensemble de son domaine de compétences. Le paradoxe c’est qu’aucun pas de grande ampleur ne sera probablement entrepris, tant sur la structure de l’organisation que sur des aspects commerciaux, mais malgré cela, HK sera l’occasion pour la communauté des Etats membres de renouveler leur confiance dans une approche multilatérale sur les enjeux commerciaux. A défaut, l’OMC resterait une arène de débats et de grandes déclarations vaines, se cantonnant comme aujourd’hui au simple arbitrage de conflits commerciaux sur la base d’accords hérité du GATT.

Le décor étant planté, il reste encore à examiner la trame de fond. En d’autres termes, de quoi parlera t-on en Décembre à Hong Kong.

De Singapour à Doha un agenda sans fin

En effet s’il est plus courant d’employer l’expression de décennies perdues pour qualifier l’élan mondial en faveur du développement annoncé dans les années 80 par les Nations Unies, et qui finalement ne demeura qu’un vœu pieux de la part de la communauté internationale, les dix ans de règne de l’OMC se soldent par un vide absolu quant à l’effectivité des accords, exception faite de celui sur le règlement des différends. Chronologiquement, l’OMC a toujours été marquée par de puissants blocages. Sa création elle-même, à la fin de l’Uruguay Round en 94, avait pour but de sortir du système GATT, jugé trop étriqué car il ignorait volontairement des pans entiers des économies, dont les services, les biens culturels, les brevets etc. Un nouvel agenda fut bientôt établi qui incorporait désormais la question des services, de l’investissement ou bien encore de la propriété intellectuelle lors du Sommet de Singapour en 96. Ces fameuses « questions de Singapour » correspondent ainsi à une extension du champ des négociations commerciales internationales désormais sous l’égide de l’OMC. En fixant les grandes lignes, les Etats membres devaient ensuite émettre des cahiers de propositions pour faire avancer les différents dossiers. Evidement un tel système bien que bâti sur la notion de multilatéralisme tourna promptement à l’avantage des Etats les plus riches (le G8), mieux armés en capacité humaines et expériences pour mener des négociations de grandes ampleurs. Etats-Unis et Europe ne tardèrent pas à tourner à leurs avantages les objectifs de l’OMC.

Puis survint Seattle (99) et ses contestations. Ces dernières auraient pour certains conduits à l’échec de la tentative de rédaction du consensus final. Pour d’autres, le clivage Nord-sud notamment sur la thématique agricole avait scellé bien en amont le sort de la réunion. Toujours est il que la mobilisation de masse et le refus du consensus par certains PMA, ont laissé à cette occasion l’OMC « sans objet » . La mission première de l’institution, la promotion du libre-échange , ne pouvait être déconnectée d’autres préoccupations comme le développement économique des PME-PMA ou bien la protection de l’environnement.

C’est au Sommet de Doha (2001) dans une atmosphère post 11 Septembre que l’OMC a vu ses compétences et son agenda élargis de manière à retrouver toute sa légitimité tant aux yeux des populations que de certains de ses membres. Le cycle du Développement fut alors mis en place pour répondre à la crise de vocation de l’institution, relancer les négociations commerciales sur une base plus harmonieuse avec le climat mondial. Le programme de Doha marque ainsi une réorientation radicale de l’institution et met fin à l’orientation libéraliste enclenchée à Singapour. Néanmoins celui-ci ne parviendra pas à rallier les participants, et lassés de voir les pays développés esquiver leurs engagements, les pays du Sud s’allieront pour faire capoter la réunion de Cancun en 2003. Dès lors les dispositions de Doha qui devaient arriver à terme en 2005 ne seront pas respectés, ce qui fait de HK le point départ des négociations au lieu d’en être l’aboutissement.

L’accord cadre de Juillet 2004 censé préciser les grands enjeux du programme de Doha que sont l’agriculture, les services, l’accès aux marchés publics, n’a selon M.Abbas fait que confirmé le retour à une simplification de la notion de développement au seul degré d’ouverture des pays, autrement dit au « néo-mercantilisme ». Il ne pallie donc en rien la perte de vitesse qui frappe l’institution et qui depuis 10 ans rend les négociations stériles.

Et pour HK

Pour l’heure, aucun signe ne permet d’entrevoir en Hong Kong un possible regain d’intérêt pour le multilatéralisme éclairé. L’ère des rendements décroissants devrait logiquement se prolonger. Cela signifie encore plus de discussions pour des avancées toujours plus petites. Les grandes thématiques seront de nouveau sur la table, les subventions agricoles se tailleront la part du lion puisque déjà les hostilités commencent, comme le montre le réquisitoire adressé par le G20 aux pays du Nord via le Secrétariat général . L’AGCS verra ses modalités renégociées mais il est peu probable qu’un consensus se fasse jour en raison de l’intérêt des PVD à gagner du temps pour mieux évalue ses impacts. Plus fondamentalement pour la vie de l’organisation, l’expression des rapports de forces issues de la nouvelle quadrilatérale affirmée à Cancun (quadrilatérale qui sera renforcée par l’arrivé de la Russie) qui cristallisait le clivage Nord - Sud dans les négociations, sera probablement amplifiée par un clivage Sud-Sud devenu important. Jusqu’à aujourd’hui les PED PMA avaient pratiqué une stratégie d’empêchement, sans jamais être pro actifs dans les négociations. Encore plus divisés ils recourront manifestement au blocage au détriment de propositions communes pour faire avancer les dossier en leur faveur. Par la même, ce comportement peut sensiblement conforter les grands pays (EU, USA, mais aussi Chine Brésil) vers des solutions bilatérales pré contracté à l’OMC.

Et pour les ONG

La situation est compliquée pour les ONG puisque après avoir dénoncé l’institution, puis son instrumentalisation par l’UE et les USA, s’être félicitées des échecs de Seattle et de Cancun, elles seront peut être amenées à modifier leurs discours et plaider à l’avenir pour un multilatéralisme éclairé au sein de l’OMC. Plus concrètement, une veille importante doit s’effectuer sur les cahiers de propositions qu’amènera chaque Etat sur la table de négociation de Hong Kong. Bien entendu les Etats ont tout intérêt à les garder secrets jusqu’à la date de la réunion, de manière à préserver leurs marges de manœuvres. La société civile ne pourra que difficilement anticiper les aspects techniques des débats et ne pourra baser son intervention que sur les faits passés et les événements rendus publics.

26 juillet 2005