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Lotissements à vendre, locataires à expulser - Allemagne - Elodie Vittu

Publié par , le 17 octobre 2007.





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L’Allemagne a mis en place des réformes, qui, après la victoire, dans certains lands, des chrétiens-démocrates en alliance avec les libéraux (mai 2005), ont eu des effets directs sur la politique nationale et régionale du logement. La vente des immeubles appartenant à l’Etat continue. On observe, dans toute l’Allemagne, une radicalisation des privatisations du logement social en même temps qu’un affaiblissement de la protection des locataires. Zoom sur la Rhénanie du Nord Westphalie.

L’alliance des locataires de la Ruhr regroupe des associations de locataires (Mieterforum Ruhr - réseau des associations de locataires de Bochum, Dortmund, Witten et Essen) et des syndicats (Verdi pour les services et IgBCE chargé des mines, de la chimie et de l’énergie). Régulièrement, ils sont à l’initiative de rencontres, le forum sur le logement par exemple, où la parole est donnée aux locataires. Au cœur des débats, la privatisation qui les touche au quotidien, le rôle des syndicats, la problématique des villes délaissées et la mondialisation du marché du logement… Y percent également des propositions d’alternatives, telles que la mise en place de coopératives de locataires.

Pour les locataires des différentes villes de la Ruhr - Witten, Dortmund, Gelsenkirchen, Essen…, les conséquences de la privatisation de leur logement sur leur vie quotidienne sont très lourdes. Nombreux sont les propriétaires qui s’introduisent directement dans le logement de leurs locataires et déclarent : « c’est ma maison, c’est mon terrain et je vais vendre, alors il faut partir ». Une véritable pression psychologique s’exerce sur les habitants des lotissements en voie de privatisation, pression d’autant plus difficile à supporter que les locataires sont âgés et vivent depuis des décennies dans le quartier. Beaucoup ne connaissent pas leurs droits, ont peur de perdre leur logement, n’osent pas se défendre. Les jeunes ménages, ne sachant pas ce que leur quartier va devenir, préfèrent bien souvent s’installer ailleurs. « Nous n’avons pas beaucoup d’argent. Aucun bailleur ne voulait nous louer un appartement. Alors, pour être acceptés en tant que locataires, nous avons dû déposer une option d’achat sur notre appartement. Un jour ou l’autre, nous devrons acheter mais nous n’avons pas les moyens financiers », explique une mère de trois enfants. Situation d’autant plus incompréhensible que beaucoup d’appartements sont vacants dans la région. Une locataire ayant créé un comité de locataires dans son quartier se plaint des effets destructeurs de solidarité qu’entraîne la privatisation :« Avant, il y avait une véritable solidarité dans le quartier. On s’aidait entre voisins. Maintenant, les habitants changent tout le temps et plus personne ne se connaît. ». Ces exemples concrets ont un effet marquant car, chaque fois, ils dénoncent le non-respect du droit au logement.

En Allemagne, il y a beaucoup plus de locataires qu’en France ; bien que, depuis dix ans, l’Allemagne rejoigne ses voisins européens en poussant à l’accession à la propriété, la moitié des allemands est toujours locataire. En revanche, la part de locataires au sein du parce de logement social est de 7% , un pourcentage bien plus faible qu’en France (selon l’Union sociale pour l’Habitat, 10 millions de francais sont logés en HLM, ce qui représente 16% de la population totale). Le problème n’est pas que le logement social public soit vendu aux locataires-occupants, comme on pourrait l’entendre par « privatisation du logement social » mais que les sociétés gérant le parc privé poussent les locataires à acheter ou vendent elles-mêmes leurs biens à des banques cotées en bourse.

Achat en masse, revente à la découpe, placement en bourse et intervention des investisseurs internationaux ; et alors ? Ces dynamiques économiques par échange de biens risquent d’avoir des conséquences dramatiques : d’une part, urbaines, il est impossible de mener une politique de développement durable des quartiers et donc de projeter ce que sera la ville de demain. D’autre part, sociales : les habitants, particulièrement les plus démunis, sont touchés par la précarité, soit parce qu’ils accèdent à la propriété sur des terrains en perte de valeur, soit parce que, demeurant locataires, ils sont menacés d’expulsion. Car n’oublions pas qu’un appartement a plus de valeur s’il est vide qu’occupé.
Les règles de la finance suivent leur cours : il n’y a pas de vente sans offre et celle-ci ne manque pas en Allemagne. D’une part, la situation financière précaire des communes leur impose de vendre leur patrimoine. D’autre part, les banques allemandes ne veulent plus prendre les risques du financement du logement dans des régions délaissées où la vacance sévit ; ce qui place les sociétés immobilières du pays dans l’impossibilité d’investir. En revanche, la situation est attractive pour les investisseurs internationaux, car les terrains sont bon marché et les vendeurs résolus à vendre à tout prix. Le tour est joué : les gros poissons peuvent manger les petits. Ainsi, selon Sebastian Müller, chercheur à l’université de Dortmund, 380.000 appartements auraient été vendus, entre 2000 et 2004, à des fonds de Private Equity (investissement dans une société non cotée) dont 100.000 dans le Land de Berlin et 50.000 en Nord-Rhein-Westphalen.

Du fait d’une situation économique fragile, des taux d’endettement et de chômage qui n’ont jamais été aussi hauts (12% en mars 2005), aucune décision politique ne s’oppose à cette tendance. Le processus de libéralisation, en Allemagne, suit son cours. Le droit au logement n’est pas respecté ; le logement est un bien financier que l’on s’échange. Et ce sont les plus démunis qui souffrent de cette logique, quand la protection sociale ne leur est pas apportée.

Elodie Vittu, 17 mai 2005