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Bidonville et relogement et après la démolition ? - Portugal - Sandrine Lourenco

Publié par , le 17 octobre 2007.

« Le Portugal éradique ses bidonvilles » titrait Emmanuel Vaillant dans le Monde Diplomatique en janvier 2000... 7 ans plus tard les démolitions se poursuivent et les conditions du relogement posent de plus en plus question.





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Les programmes spéciaux de relogement et de suppression des baraques ont commencé en 1993 après l’adhésion du Portugal à l’Union Européenne et avec l’aide financière qui s’en est suivie. Le pays s’est alors lancé dans une politique de construction massive de logement à coûts modérés et de liquidation des grands quartiers d’habitat informel. Or, cette politique n’a pas eu les effets escomptés. Même si une grande partie de la population a été relogée, même si la majorité des bidonvilles à l’intérieur de la ville de Lisbonne ont disparu, les programmes spéciaux de relogement ont eu des effets collatéraux pervers... En témoigne la densité des populations dans les quartiers dit « sociaux » (d’habitat social), situés en périphérie de la ville. Dans le même temps, les espaces libérés par les démolitions ne sont pas réaffectés au logement social. Ils sont plus souvent laissés en friches.

Les populations pauvres ont donc été relogées dans des espaces éloignés du centre ville, hors de la vue des classes moyennes, dans des habitations de mauvaise qualité. Parallèlement, des immeubles du centre ville sont abandonnés, ou plutôt, laissés aux mains des spéculateurs. Elles appartiennent à l’Etat, à la mairie, ou aux Santa Casas da Misericordia (organismes d’utilité publique administrative, à vocation sociale, liés à l’Eglise catholique et à l’Etat...) et, pour beaucoup d’entre elles, à de grands groupes immobiliers - banques et assurances... Que propose le gouvernement face à la dégradation de cette situation ? A travers l’INH (Institut national pour l’habitat), il promeut des logements sociaux en périphérie et promet la récupération des immeubles dégradés ou délaissées du centre-ville pour les vendre aux enchères... Au bénéfice de qui ? Des grands groupes qui pourront se les offrir...

Le Portugal serait l’un des pays les plus « engagés » sur la voie du droit au logement (1) : reconnaissance du droit au logement, qui est d’ailleurs inscrit dans le texte de la Constitution, droit au logement fixé par la loi, existence d’une politique de logement fixée par l’Etat central, garantie du droit au logement par l’Etat... Toutefois, lorsque l’on regarde de plus près les programmes de relogement et les conditions de vie de nombreuses familles dans des quartiers comme Jamaïca, 20 de Maio, Quinta do Cabral... , on se pose sérieusement la question des modalités d’application de ce droit et du bien fondé des politiques mises en place.

Les programmes actuels de relogement ne tiennent toujours pas compte des erreurs passées (le quartier d’Outerela en est un bon exemple), ni des expériences des pays voisins. Pour un pays qui apparaît comme étant exemplaire en matière de législation sur le droit au logement, le nombre de cas d’expulsions sans relogement durant la campagne des programmes dits de « relogement » est excessivement élevé. La simple et unique raison avancée pour justifier ces expulsions est la non inscription de certaines familles sur les registres des recensements effectués parfois plus de 10 ans avant les relogements (2)... Qu’adviendra-t-il des familles arrivées par la suite et n’apparaissant pas dans ces recensements, puisque ces programmes spéciaux sont voués à disparaître lorsque l’ensemble des familles déjà recensées sera relogé ?

Il est surprenant que le mouvement social au Portugal soit si faible, si peu structuré et tellement cloisonné dans ce domaine. D’un autre côté, plus de 75% de la population portugaise est propriétaire de son logement ; le nombre d’habitations est tellement élevé qu’il existe une moyenne de deux maisons par habitant ; on trouve même des maisons « sans propriétaires »...

Au niveau du gouvernement, le droit au logement est un droit social et non un droit fondamental ; il est envisagé comme un objectif de long terme et non pas comme une obligation d’Etat. Parallèlement, la législation actuelle favorise l’accession à la propriété et incite à la spéculation immobilière dans le centre de Lisbonne. Selon l’association Lisboa Abandonada (3), « il existe un véritable problème d’offre d’habitation dans les zones centrales de Lisbonne ainsi qu’une situation de grande précarité, notamment avec l’accroissement de l’immigration. Tout devient logement : couloirs, balcons... Ceci est le reflet de la politique d’immigration et de spéculation, de même que la politique menée sur parc locatif privé. Dans d’autres pays, l’habitation est un facteur essentiel de la politique d’intégration ». Parallèlement à cette situation, les quartiers d’habitat social sont au bord de l’implosion : surpopulation, habitat dégradé, concentration des problèmes sociaux, stigmatisation des populations de ces quartiers, fracture sociale...

Comment ne pas souhaiter rompre avec cette logique qui a tant de fois prouvé son insuccès ?

(1) Selon un rapport de l’Union Internationale des Locataires, "L’application du droit au logement dans les pays membres de l’Union européenne" (2000) http://www.iut.nu

(2) Dans la ville d’Amadora, les recensements ont été effectués en 1993, le relogement est, quant à lui, intervenu en 2005, alors que les maisons étaient prêtes depuis 5 ans, « entre temps les personnes qui ont été recensées sont parties, d’autres sont arrivées... » raconte un habitant du quartier.

(3) http://www.lisboa-renovada.net/associacao/index.html

Sandrine Lourenco, 26 avril 2005