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« Nous, on ne va pas se laisser acheter » : les locataires contre la privatisation du logement - Allemagne - Elodie Vittu

Publié par , le 17 octobre 2007.

Le lotissement de Flöz Dickebank à Gelsenkirchen est composé de 317 logements miniers construits au 19ème siècle. En 1974, les habitants se mobilisent contre un projet de démolition du quartier et obtiennent gain de cause. Depuis, ils se réunissent dans les anciens bains publics des mineurs, qu’ils ont transformés en lieu de rencontre pour continuer l’action. Aujourd’hui, ils sont menacés par la vente du quartier à des investisseurs privés.





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Entretien avec Traudel Hiomshöher, « femme de poigne », toujours là auprès des mineurs et active depuis les origines de ce mouvement.

Quand a commencé le mouvement et pour quelles raisons ?

L’initiative a été menée pour la première fois il y a 31 ans, en réaction aux problèmes de charges de loyers. Mais très vite, le mouvement s’est amplifié face au projet de démolition du quartier. Le conseil municipal avait donné à Viterra, le propriétaire, l’autorisation de démolir le lotissement en 1972. Le lotissement était dans un état délabré, insalubre et la solution de l’époque était la rénovation à coup de hachoir, c’est-à-dire la démolition.

Nous, on voulait rester dans le quartier et on savait qu’il avait une valeur patrimoniale, qu’il fallait le conserver. Les habitants du quartier ont protesté vivement contre la démolition : manifestations, tracts. Les logements du quartier étaient très prisés mais les ouvriers et anciens mineurs étaient bien déterminés à rester dans le quartier. Le projet de démolition a finalement été annulé en 1976, notre première victoire.

Et depuis, y a-t-il eu d’autres victoires ?

Ensuite, ils ont voulu construire dans les propriétés, sur nos jardins, afin de faire du profit. Là aussi, nous avons toujours refusé la densification et personne n’a touché à nos jardins. Mais le quartier était en 1976 encore insalubre. Nous avons rencontré les autorités locales pour réfléchir ensemble sur la question : comment financer les travaux pour le remettre en état et le moderniser ? Le bailleur était un malpropre. Selon le contrat de propriété et de gestion du lotissement qui a été établi entre l’Etat, la société minière et le bailleur Viterra, 33% des loyers devaient être conservés pour maintenir les maisons en état. Cette obligation sociale était intégrée au fonctionnement de l’administration de la mine. Or, Viterra n’a jamais fait de travaux, jamais de modernisation, il a laissé les immeubles pourrir. 1/3 des loyers de 317 logements entre 1969 et 1977, cela faisait des millions de Deutschmarks. Ce fut notre proposition : réclamer cet argent « volé » pour rénover. Nous avons participé aux études préparatoires pour la rénovation du quartier et étions réellement écoutés par la mairie. Et finalement, le lotissement a été non seulement sauvé mais aussi réhabilité et modernisé selon nos souhaits de locataires. Aujourd’hui, il fait partie du patrimoine protégé alors qu’il y a 25 ans, on voulait le démolir !

Combien de personnes se sont engagées ? Avez-vous des contacts avec d’autres associations de locataires ?

Les associations de Dortmund, Witten et Bochum ont soutenu notre cause et ils nous ont aidé à organiser notre action. Ensemble nous avons expliqué leurs droits aux habitants d’autres lotissements, d’autres quartiers et d’autres villes. Finalement, 55 groupements de locataires Viterra se sont construits et l’on a formé un groupe d’action "locataires-Viterra". Ce propriétaire est un voleur légal ! Mais nous, on connaît nos droits et nous ne voulons pas le laisser faire ; nous essayons de rassembler tous les habitants du lotissement et d’autres locataires du même bailleur, ceci pour se battre à nos côtés. Bien que le propriétaire mène des activités illégales, comme par exemple, les 33% du loyer, le locataire en tant que personne individuelle ne peut pas porter plainte. Ne pouvant pas agir de manière juridique, le seul moyen de pression est de construire des initiatives et de mener des actions politiques.

Ensemble avec les initiatives, nous avons fait pression sur le propriétaire pour réclamer nos droits, car il hésite toujours à faire des travaux, et maintenant que Viterra a été vendu, nous cherchons à entrer en contact avec le nouveau propriétaire afin de continuer notre combat.

Qu’est-ce que cette vente change dans le quartier ?

Il n’y a plus de solidarité ; les uns après les autres, on est vendus. Les locataires sont mal traités ; seuls ceux qui achètent sont respectés. On ne sait pas quelle politique immobilière et sociale va mener le nouveau propriétaire, mais on ne le laissera pas faire s’il se comporte mal. Nous n’avons pas l’intention de partir ni de payer plus cher : liés à la mine depuis toujours, nous estimons avoir le droit à nos avantages sociaux et à rester locataires, parce que ces logements ont toujours été à nous, nous y avons entretenu nos jardins et nous voulons rester.

Il y a un vrai conflit dans le quartier entre les nouveaux propriétaires, des prétentieux, ceux qui acceptent d’acheter, des peureux et les anciens locataires de la première lutte contre la démolition. Ces logements appartenaient à la mine ; maintenant ils sont vendus, lotissement par lotissement, appartement par appartement à des propriétaires différents mais nous, on ne va pas se laisser vendre. Notre combat ne va pas s’arrêter.

Comment réagissez-vous face à la privatisation ?

Nous nous battons contre la privatisation avec différents moyens. Nous soutenons beaucoup le classement du quartier au patrimoine historique : les règles patrimoniales sont drastiques, ce qui peut freiner des acheteurs potentiels à investir ici, car ils savent que pour tous travaux, une fenêtre, une peinture, ils auront besoin d’autorisations spéciales. Ainsi, la privatisation est freinée, surtout face aux spéculateurs qui profiteraient des prix attractifs du quartier pour faire de la plus-value sur la revente après travaux. Notre volonté est de monter une coopérative immobilière, c’est-à-dire devenir propriétaire et gestionnaire du lotissement. Nous avons déjà établi les statuts, mais il nous manque les fonds d’investissement. Le but sera social : notre projet est de protéger la structure sociale du quartier et d’éviter les hausses de loyer par une gestion communautaire du lotissement.

D’autre part, notre activité politique se construit dans une alliance « action-Viterra », avec des comités de locataires de Viterra, dans plusieurs villes de la Ruhr, des initiatives à Essen, les syndicats, les associations de locataires de Dortmund, Witten, Bochum. Nous sommes aussi soutenus par certains membres de l’université. Nous avons un journal collectif et nous nous rencontrons une fois par mois, ici, dans le local du quartier. Notre but est « agir » : nous avons organisé un meeting en mai à Dortmund, en invitant les politiques en bataille électorale.

Dans les années 70 et même 80, les habitants n’étaient jamais interrogés sur les projets urbains. Les experts envoyés par la ville dans notre quartier pour élaborer un plan de revitalisation avaient conclu : « Flöz Dickebank est une chose morte. On ne peut plus lui redonner de vie » ! Alors que nous vivions dans le quartier et nous leur avons montré que nous étions bel et bien vivants !

Elodie Vittu, aout 2005