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Les référentiels pluriels de la régulation

Publié par , le 26 novembre 2007.





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Il s’agit de clarifier les enjeux recouverts par le concept de « régulation », dans son acception générale, comme dans sa déclinaison dans le domaine des services d’intérêt général, en essayant de répondre à six questions :

 pourquoi parle-t-on de « régulation » ?
 qu’est-ce que la régulation spécifique des services d’intérêt général ?
 quels objectifs de régulation des services d’intérêt général ?
 quelles fonctions de régulation des services d’intérêt général ?
 comment mettre en œuvre la régulation des services d’intérêt général ?
 à quel niveau la régulation est-elle pertinente ?

I – Pourquoi parle-t-on de « régulation » ?

Le concept de « régulation », né dans les sciences « dures » (l’automatique, la cybernétique, la systémique, etc.), a été importé dans les sciences humaines et sociales dès lors qu’il s’est agi de prendre en compte la complexification de systèmes, dans lesquels existent une série d’acteurs et d’institutions qui ont des objectifs multiples, différents, opposés ou contradictoires.

L’entre-choc de cette diversité de besoins et d’intérêts conduirait, si le système était laissé à lui-même, soit à la domination d’un acteur sur les autres, soit à l’éclatement, l’explosion ou l’implosion du système.

Pour éviter les instabilités et déstabilisations des systèmes sont mis en place des normes, des mécanismes, des institutions, qui visent à créer un équilibre et une dynamique évolutifs. La régulation recouvre donc les normes et règles qui s’imposent (ou sont imposées par des lois ou règlements) à tous les acteurs ; le « contrôle » de leur exécution et de leur respect, ainsi que les éventuelles sanctions ; mais aussi les nécessaires adaptations au fur et à mesure.

La régulation de tout groupe social correspond aux interactions entre les intérêts particuliers de chaque composante du groupe et l’intérêt commun ou général de celui-ci. Elle permet d’éviter que la coexistence d’intérêts et d’aspirations différents et contradictoires ne se traduise par le combat permanent de chacun contre chacun et contre tous.

La « régulation » peut donc se définir comme modes d’ajustements permanents et évolutifs d’une pluralité d’actions et de leurs effets, permettant d’assurer l’équilibre dynamique de systèmes instables.

Le fait que nous employions aujourd’hui ce concept de régulation dans les sciences humaines et sociales pose le problème de ses sens différents selon les langues utilisées. Au sens étroit, le terme anglais « regulation » se traduit précisément en français par « réglementation » et non par cette acception générale que nous pourrions qualifier de « système de régulation ».

Un système de régulation recouvre donc l’ensemble des normes, mécanismes et institutions qui concurrent à la régulation du système. C’est à la fois :

 les normes et règles qui s’imposent (ou sont imposées par des lois ou règlements) à tous les acteurs concernés ;
 leur mise en œuvre par ceux-ci, ce qui implique de pouvoir trancher des différends survenant entre eux ;
 le « contrôle » de leur exécution et de leur respect, ainsi que les éventuelles sanctions ;
 l’évaluation de leur efficacité ;
 mais aussi les nécessaires adaptations au fur et à mesure.

S’il y a « régulation », c’est parce que les normes et règles ne peuvent tout prévoir, doivent être interprétées et sont remises en cause - en adaptation perpétuelle, en fonction des situations et des objectifs.

La problématique du « système de régulation » s’applique à tous les systèmes complexes, caractérisés par une pluralité d’acteurs, avec plusieurs dimensions. On parle ainsi de « nouvelles régulations économiques », de « régulation des marchés financiers », de « régulation de la concurrence », de « régulation du trafic » dans les transports, comme de « régulation de l’audiovisuel » ou de « régulation des services d’intérêt général ».

II – Qu’est-ce que la régulation spécifique des services d’intérêt général ?

On a commencé à parler de « régulation des services d’intérêt général » avec le développement des politiques de libéralisation et d’ouverture à la concurrence des secteurs de réseaux, marchands, à caractère industriel et commercial, qui a coïncidé avec les profondes mutations économiques et technologiques de ces secteurs, avec leur complexification, ainsi qu’avec leur européanisation, alors qu’ils avaient été jusque là définis dans le cadre de chaque construction nationale.

La libéralisation a consisté à introduire de la concurrence dans des secteurs souvent protégés par des monopoles nationaux, régionaux ou locaux, afin tout à la fois d’assurer la libre circulation des services en construisant des marchés intérieurs sectoriels et d’inciter à davantage d’efficacité. Il s’est agi de concilier les mécanismes de concurrence avec des finalités d’intérêt général, la mise en œuvre d’objectifs et d’obligations de service public. Les tensions et contradictions ainsi générées impliquaient de poser de manière nouvelle les enjeux de régulation.

La problématique de la régulation des services d’intérêt général s’est imposée en particulier avec la double séparation :

 entre fonction d’opérateur et fonction de régulation ;
 entre rôle d’actionnaire de l’autorité publique propriétaire des entreprises et fonction de régulation qu’elle a à assumer.

Auparavant, l’Etat pour les services nationaux d’intérêt général, les collectivités territoriales pour les services locaux, étaient censés tout à la fois réglementer, mettre en œuvre, arbitrer, contrôler, évaluer, etc. En réalité, sous l’effet des dissymétries d’informations et d’expertises, on avait assisté au développement de phénomènes de capture des autorités publiques par ceux qu’elles étaient censées piloter et contrôler.

Les services d’intérêt général se définissent par leurs finalités et objectifs, qui correspondent, à l’échelle de chaque autorité publique (locale, régionale, nationale, européenne), à l’emboîtement de trois dimensions :

 la garantie du droit individuel de chacun d’accéder à des biens ou services essentiels pour la satisfaction de ses besoins, la garantie d’exercice des droits fondamentaux de la personne, conditions du lien social (droits à l’éducation, à la santé, au logement, à l’eau et à l’assainissement, à l’énergie, aux communications, aux transports, etc.) ;
 l’expression de l’intérêt général de la collectivité, la promotion de solidarités, de la cohésion économique, sociale et territoriale (égalité d’accès, de fourniture, de service et de qualité, recherche du moindre coût, péréquation géographique des tarifs, adaptabilité) ;
 un moyen essentiel pour concourir au développement économique et social à long terme (développement durable, intérêts des générations futures, etc.).

En raison de ces finalités, les services d’intérêt général ne peuvent relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, car cela conduirait au développement de trois phénomènes de polarisation : économique, les rendements croissants conduisant à de nouvelles concentrations et à la reconstitution de monopoles ; sociale, l’« écrémage du marché » amenant des différentiations croissantes selon les revenus des utilisateurs ; territorial, les régions et zones les moins rentables risquant d’être progressivement délaissées.

Les services d’intérêt général forment système auquel concourent un grand nombre d’acteurs, les parties prenantes (« stakeholders ») :

 les autorités publiques concernées, qui définissent les objectifs et missions, ainsi que le mode d’organisation ;
 les entités auxquelles ces missions sont confiées (« opérateurs ») ;
 les usagers-consommateurs-citoyens (chaque habitant ou utilisateur des services relève de ces trois dimensions) ;
 les personnels, etc.

En même temps, les services d’intérêt général :

 relèvent d’échelles temporelles fort différentes (court, moyen, long termes) ;
 sont ancrés dans des territoires qui ont des caractéristiques spécifiques ;
 génèrent des externalités positives et/ou négatives sous de multiples formes ;
 mettent en jeu des intérêts et forces qui non seulement ne sont pas identiques, mais le plus souvent s’opposent.

Pour l’ensemble de ces raisons, les services d’intérêt général nécessitent des systèmes de régulation spécifiques.

III – Quels objectifs de régulation des services d’intérêt général ?

Les systèmes de régulation peuvent recouvrir plusieurs objectifs et formes :

 la régulation peut consister à contrôler la concurrence et son effectivité, par exemple dans les cas où une autorité publique a recours à un appel d’offres pour choisir le gestionnaire d’un service, ou pour vérifier qu’un opérateur en position dominante n’abuse pas de cette situation : elle relève alors le plus souvent des autorités nationales et européenne de surveillance de la concurrence (Conseil de la Concurrence, Commission européenne) ; mais celles-ci se prononcent ex-post, ce qui peut entraver le fonctionnement d’un secteur ; le contrôle de la concurrence n’est qu’un des aspects d’un système de régulation ;

 la régulation peut avoir pour objectif d’introduire la concurrence dans un secteur ; elle est alors conçue comme « asymétrique » exerçant un contrôle strict sur l’ancien monopole et favorisant les « nouveaux entrants » ; cette régulation est dès lors le plus souvent définie comme provisoire, en attendant l’existence d’un marché réellement concurrentiel ; jusqu’ici cependant, même dans les secteurs ouverts à la concurrence depuis la fin des années 1980, le besoin de régulation spécifique n’a pas disparu ;

 la régulation peut aussi avoir à surveiller que l’introduction de la concurrence ne provoque pas d’effets pervers (absence d’incitation à investir, multiplication des externalisations négatives, concentrations territoriales, etc.) ;

 la régulation peut se concentrer sur l’accès des différents opérateurs à une infrastructure qui reste marquée par l’existence d’un monopole naturel (réseaux électrique, de gaz, de transports par rail, d’eau et assainissement, etc.) ; cela conduit souvent à mettre en place une autorité de régulation nationale par secteur, indépendante par rapport aux différents opérateurs et à l’autorité publique, surtout si celle-ci reste actionnaire unique ou majoritaire de l’ancien monopole ou du gestionnaire du réseau ; cette autorité doit alors se prononcer ex ante ou en continu, de façon à permettre un bon fonctionnement du secteur ; c’est la fonction de base qui a été assignée à la plupart des agences de régulation crées dans les secteurs de réseaux pour accompagner la libéralisation ;

 la régulation peut aussi avoir comme finalité d’assurer un équilibre évolutif entre des objectifs comportant des aspects contradictoires, en particulier entre concurrence et objectifs d’intérêt général ou obligations de service public ; elle relève alors pour partie des autorités publiques.

IV – Quelles fonctions de régulation des services d’intérêt général ?

Du fait des finalités d’intérêt général, la régulation ne se réduit pas à la mise en œuvre du droit commun de la concurrence. Elle recouvre toute une série de fonctions liées entre elles, mais qu’il est nécessaire d’appréhender de manière spécifique (cf. tableau en annexe) :

 la réglementation (lois, décrets, etc.) ;
 les objectifs éventuels de politique publique (qui peuvent figurer dans un Cahier des charges) ;
 la mise en œuvre pour partie du droit de la concurrence ;
 l’équité d’accès à l’infrastructure, si celle-ci est un monopole naturel, et sa tarification ;
 les relations évolutives entre missions de service d’intérêt général et droit de la concurrence ;
 la sécurité de financement des investissements, ainsi que de la compensation des objectifs et missions ;
 le « contrôle » de l’exécution et du respect de la réglementation, ainsi que les éventuelles sanctions ;
 l’évaluation de l’efficacité économique et sociale du système (y compris de la régulation elle-même), afin de contribuer à l’évolution dans le temps et dans l’espace, en fonction des besoins des consommateurs, des citoyens et de la société.

V - Comment mettre en œuvre la régulation des services d’intérêt général ?

On a beaucoup trop souvent tendance à assimiler dans le langage commun la « régulation » des services d’intérêt général à la mise en place d’un « régulateur » et à le définir comme « indépendant » (de l’Etat supposé être intrinsèquement inefficace).
En fait, l’ensemble des fonctions du système de régulation ne sauraient relever d’une responsabilité unique, d’un organe désigné comme « le » « super » régulateur et censé assurer l’ensemble des fonctions de régulation, mais de l’emboîtement de plusieurs instances à responsabilités complémentaires à la fois quant à leurs fonctions et à leur champ territorial (du local à l’échelon européen). Seule cette pluralité d’instances peut assurer le caractère démocratique de la régulation des services d’intérêt général.

La mise en œuvre des services d’intérêt général implique d’abord une définition claire et transparente des missions de la part de l’autorité publique qui décide d’en reconnaître la nécessité (autorité organisatrice) : loi définissant les missions, le mode d’organisation, le type de régulation, l’expression des acteurs, décrets, règlements, etc.

Outre la réglementation, les pouvoirs publics peuvent décider et conduire des politiques publiques, sectorielles ou transverses (lois, règlements, cahier des charges).

Compte tenu de l’ouverture des secteurs concernés à une concurrence oligopolistique, les conditions de cette concurrence entre opérateurs ont à relever pour partie du droit de la concurrence et donc des autorités de contrôle de la concurrence, ainsi que des autorités européennes.

Dans la plupart des secteurs, il subsiste une part d’infrastructure continuant à relever du « monopole naturel », mais auquel les différents acteurs (opérateurs de services, consommateurs « éligibles ») ont accès. Les enjeux d’équité d’accès à ce réseau apparaissent décisifs. Compte tenu également de la complexité de chaque domaine, cette fonction amène à créer des autorités spécialisées de régulation, « autonomes » par rapport aux autres acteurs, donc évidemment par rapport à l’Etat et aux autorités publiques ; elles doivent disposer de réels pouvoirs d’investigation, de décision (en particulier en matière de tarifs d’accès à l’infrastructure), d’arbitrage et de sanction. Ces autorités sont un des acteurs essentiels du système de régulation, mais non « le » régulateur.

La question de l’« indépendance » de l’autorité de régulation nécessite certaines clarifications, qui ne peut qu’être relative, car dans une société aucune de ses composantes n’est complètement séparée ou séparée. Le point de départ est souvent la volonté d’assurer une réelle distance par rapport à l’Etat ou à l’autorité publique, qui n’avait pas toujours fait preuve de beaucoup d’efficacité dans la régulation des opérateurs, besoin renforcé dans le cas où l’autorité publique reste actionnaire de l’un des opérateurs en concurrence. Des méthodes ont été mises en œuvre pour assurer cette autonomie, en matière de nomination des membres de l’autorité, de non-révocabilité, de non-renouvellement, de garanties de ressources, etc. Mais l’« indépendance » doit également être assurée à l’égard des opérateurs, ainsi que de tous les autres acteurs concernés. Cet objectif est d’autant plus difficile à assumer que l’autorité de régulation est le plus souvent contrainte, au moins pendant toute une période, de faire appel à l’expertise existante dans le secteur, qui était le plus souvent concentrée au sein de l’opérateur historique.

Existent également des problèmes en matière de contrôle et d’évaluation des agences de régulation. Leurs décisions sont le plus souvent applicables sans appel et ne peuvent être contestées que devant les tribunaux. Mais, sans en arriver là, on pourrait envisager des formes de contrôle ou l’institutionnalisation de relations, relevant par exemple des parlements, permettant de renforcer la légitimité des décisions qu’elles sont amenées à prendre.

Les relations entre d’un côté les objectifs d’intérêt général ou les obligations de service public et de l’autre les règles de concurrence doivent relever de l’expression de tous les acteurs concernés aux différents échelons territoriaux pertinents (variables selon les secteurs), en particulier les consommateurs (usagers individuels, PME-PMI, collectivités, industriels), élus, personnels et organisations syndicales.

Les questions de financement recouvrent à la fois la garantie du financement à long terme des investissements nécessaires à l’universalité, à la qualité et à la continuité du service, ainsi que de la compensation des obligations de service public et de la tarification. La tarification du « service d’intérêt général », les enjeux en termes d’affectation des gains de productivité, le financement proportionné de la mise en œuvre des missions des services d’intérêt général doivent relever des pouvoirs publics, après avis des autorités de régulation et des instances d’expression des acteurs.

L’évaluation des activités et performances, de l’efficacité économique et sociale du système (y compris de sa régulation), ainsi que de la répartition de la rente entre consommateurs, entreprises du secteur, personnels, autorités publiques nationales et locales, suppose de mettre en place, à chaque niveau d’organisation-régulation, d’Observatoires multi-critères, pluralistes dans leur composition comme dans les critères d’appréciation, disposant de capacités d’expertise autonomes, rendant des rapports publics. Ils doivent associer tous les acteurs concernés (régulateurs, opérateurs, élus nationaux et locaux, représentants des différentes catégories de consommateurs, des personnels et des organisations syndicales, des associations de la société civile, des chercheurs, etc.).

Toute régulation implique une série d’arbitrages entre des intérêts différents – compte tenu à la fois de la diversité des acteurs, des échelles temporelles prises en compte (intérêts des générations futures), des spécificités territoriales, de l’internalisation de telle ou telle externalité, etc. Ces arbitrages mettent en jeu des intérêts et forces qui non seulement ne sont pas identiques, mais le plus souvent s’opposent. Pour qu’il y ait régulation efficace et accepté, il faut préalablement que toutes les propositions et issues de tous les acteurs concernés puissent s’exprimer à égalité. Cette expression permet non d’éviter l’existence d’effets pervers, inhérents à toute action sociétale, mais d’en limiter l’ampleur et d’en corriger rapidement les défauts. La régulation implique l’expression, la transparence, la délibération collective, la confrontation de la pluralité des approches et donc la démocratie. Elle suppose de pouvoir s’appuyer sur une évaluation multicritères et la pluralité d’expertises.

Le face-à-face existant le plus souvent entre opérateur(s) et régulateur s’accompagne d’un déséquilibre structurel d’informations en faveur du premier pouvant déboucher sur un phénomène de « capture ». Les opérateurs de service d’intérêt général – privés comme publics -, sont spontanément tentés d’abuser de l’asymétrie d’informations dont ils bénéficient pour s’accaparer ou détourner la rente au détriment des consommateurs et/ou de la collectivité.

Cette caractéristique implique de sortir du « jeu à deux », du face-à-face entre régulateur et opérateur(s), pour passer d’une régulation d’« experts » à une régulation d’« acteurs ». Il faut faire intervenir tous les acteurs concernés : non seulement les autorités publiques et les opérateurs, mais aussi les consommateurs (les usagers domestiques comme industriels - grands et petits), les citoyens, les collectivités locales et les élus (nationaux et locaux), les personnels et organisations syndicales. Les uns et les autres disposent, de par leurs expériences multiples, de nombreuses informations qui « manquent » au « régulateur » et sont porteurs d’aspirations et d’exigences sur la base de la diversité de leurs besoins. Associer tous les acteurs concernés, les amener à engager la confrontation, le dialogue, la négociation, est un moyen de renforcer la régulation des services d’intérêt général.

VI - A quel niveau la régulation est-elle pertinente ?

Traditionnellement, c’est dans le cadre de chaque Etat qu’avaient été définis et mis en œuvre les modes de régulation des services d’intérêt général, en tenant compte des traditions, histoires et institutions de chaque pays.

Avec les processus d’européanisation des services d’intérêt général, qui ont commencé au milieu des années 1980 par les grands secteurs de réseaux d’infrastructures (transports, communications, énergie), mais qui s’étend progressivement aujourd’hui aux services sociaux et de santé, au logement, à l’éducation, etc., l’Union européenne devient progressivement le cadre de définition des règles d’organisation de chaque secteur. Les directives et règlements européens dits de « marché intérieur » définissent les règles du jeu générales applicables dans tous les Etats membres, avec dans certains cas des marges d’adaptation lors des transpositions en droit national.

En même temps, dans la plupart des cas, les règles européennes renvoient leur mise en œuvre et les procédures de régulation aux Etats membres. Ce déséquilibre entre réglementation communautaire et régulation nationale pose toute une série de problèmes. D’une part, il peut se produire des distorsions de concurrence entre les Etats et donc entre les opérateurs, qui pour l’essentiel ont une base et une origine nationales, éléments contraires à l’objectif proclamé d’un marché intérieur. D’autre part, les phénomènes d’internationalisation et d’ouverture des économies ont amené les opérateurs de services d’intérêt général, qui étaient traditionnellement liés à un territoire, à une activité et à des institutions locales ou nationales, à s’internationaliser rapidement, ainsi qu’à se concentrer et à se diversifier ; la plupart des opérateurs dominants sont aujourd’hui des « groupes » européens sinon mondiaux et sont présents dans plusieurs secteurs. La réglementation européenne actuelle bute donc sur deux difficultés : comment se limiter à des règles sectorielles lorsque les opérateurs sont multi-activités ? Comment conduire une régulation nationale de groupes dont les stratégies de développement sont européennes sinon mondiale, question d’autant plus prégnante que les Etats ne disposent pas d’importants moyens ?

Par ailleurs, il faut prendre en compte que les institutions européennes, la Commission (au moins la DG Concurrence pour tout ce qui concerne les concentrations et les aides d’Etat) et la Cour de justice (de manière beaucoup plus générale, au fur et à mesure des différends qui lui sont soumis), exercent d’ores et déjà un rôle de régulation des services d’intérêt général, le plus souvent sans le reconnaître explicitement.
Des coordinations entre autorités nationales de régulation ont progressivement été développées, mais est-ce suffisant pour exercer une gouvernance efficace ? Certains se prononcent donc pour mettre en place des autorités européennes de régulation des services d’intérêt général. Mais cela rendrait difficile la prise en compte, de manière efficace, des diversités des traditions nationales et poserait de multiples problèmes organisationnels.

Dès lors, certains avancent l’idée, nouvelle, d’une « fédéralisation » de la régulation. L’autorité européenne aurait la responsabilité des questions transnationales ou communautaires et les autorités nationales s’occuperaient des aspects nationaux ; ceci impliquerait de définir des modes d’articulation entre autorités nationale ou infra-nationales et européenne. Cette hypothèse permettrait de combler le déséquilibre mentionné entre petits et grands pays en matière de capacités de régulation. Les Etats n’en seraient pas forcément affaiblis, car ils pourraient unir leurs compétences qui, le plus souvent ne sont pas suffisantes pour répondre à des questions similaires. Les opérateurs, ceux-ci préféreront sans doute à terme recourir à une seule instance plutôt qu’à plusieurs.

Sans doute cette hypothèse de fédéralisation de la régulation est-elle encore prématurée, tant les Etats restent attachés au respect du principe de subsidiarité. Mais on voit mal le statu quo actuel se poursuivre longtemps.