AITEC
Bouton menu

Evaluer les performances des services d’intérêt économique général

Publié par , le 26 novembre 2007.





Partager :

bouton facebook bouton twitter Bouton imprimer

Il ne s’agit pas de procéder à une évaluation comparative des performances, mais de dresser un inventaire des expériences et bonnes pratiques nationales, d’établir un vocabulaire commun et de partager des références, afin de définir ce que pourrait être une évaluation des performances au sein de l’Union européenne.

A partir de la richesse des expériences nationales (en particulier Allemagne, Belgique, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Suède) dans quatre secteurs essentiels : télécommunications, énergie, eau et assainissement, poste, il est possible de générer la réflexion communautaire et de contribuer à faire émerger une problématique commune.

Prendre en compte toute la complexité de l’évaluation

Du fait des missions qui leur sont imparties, les « services d’intérêt économique général » ne relèvent pas seulement du droit commun de la concurrence, mais des rapports conflictuels entre les règles de concurrence et les missions d’intérêt général dont ils sont chargés.

Ces rapports conflictuels ne sont pas stables et figés, mais évolutifs dans le temps et l’espace. Ils tiennent notamment aux histoires, traditions, institutions et cultures nationales. Les modes de mise en œuvre des services d’intérêt économique général sont étroitement dépendants des sociétés dans lesquelles ils prennent place.

L’évaluation n’a de sens que rapportée aux objectifs et missions assignés, qui relèvent de trois sources de définition - le consommateur, le citoyen et la collectivité – et ont trois composantes – la garantie d’exercice des droits fondamentaux de la personne, la cohésion sociale et territoriale, la définition et la conduite de politiques publiques.

L’évaluation des performances apparaît comme une fonction différente de la régulation, mais aussi un élément nécessaire de celle-ci. La régulation a intérêt à prendre appui sur des évaluations pertinentes et à en susciter.

En même temps, l’évaluation doit permettre d’appréhender les dysfonctionnements, les différences en termes de qualité et/ou type de service d’un pays à l’autre et donc de mettre l’accent sur les nécessaires évolutions des missions comme du cadre réglementaire.

Les services d’intérêt économique général font intervenir toute une série d’acteurs dont les intérêts sont différents et dans certains cas opposés et dont les rapports sont marqués par des asymétries d’informations et d’expertises. La performance d’un service d’intérêt économique général est un concept pluriel.

Les performances relatives des services d’intérêt économique général s’appuient sur des rapports étroits avec les territoires, à différentes échelles (locale, nationale et européenne). L’évaluation peut relever de niveaux différents et/ou complémentaires, chacun ayant ses aspects spécifiques.

La performance peut s’apprécier pour différentes échelles temporelles. A très court terme, quant à la satisfaction immédiate du service, sa qualité, l’efficacité de sa gestion, ou à moyen, long voire très long terme pour des effets plus diffus dans le temps. Les services d’intérêt général ont souvent des effets structurants à long terme. Les performances, parfois inégales, des services d’intérêt général peuvent être facteurs d’externalités, positives ou négatives.

L’évaluation des performances apparaît dès lors indispensable, mais aussi complexe du fait de la multiplicité des objectifs poursuivis. Les spécificités des finalités, des modes d’organisation et des acteurs concernés conduisent à avoir de la « performance » une définition complexe et multiforme.

Sur ces bases, il est apparu possible de faire un certain nombre de propositions et de recommandations afin de promouvoir l’évaluation des performances au sein de l’Union européenne comme élément essentiel de mise en œuvre de l’article 16 du traité, en dégageant une grille de référence de type de critères d’évaluation pouvant être appliqués de manière générale à tous les secteurs, d’autre part les principes et institutions nécessaires à la mise en œuvre de cette évaluation.

Proposition d’une grille de référence

La proposition de grille présentée page suivante a pour but de donner une vision globale des différents angles d’approche possibles d’une évaluation. Elle doit se décliner de manière plus précise au niveau sectoriel, et par catégorie de parties prenantes (utilisateurs, collectivités, etc.).

Toutefois, elle permet, lors de l’étude d’un dispositif d’évaluation, de bien identifier ce qui fait l’objet d’une évaluation des performances et ce qui n’en fait pas l’objet.

Cette approche générique fait que tous les critères et domaines listés ne peuvent faire l’objet d’un étalonnage. La grille proposée comporte une cohérence d’ensemble.

Chaque critère a sa pertinence, mais leur croisement permet d’articuler les différentes dimensions inhérentes aux services d’intérêt économique général ; ainsi, le critère de prix du service doit être rapporté à la nature de celui-ci, à sa qualité.

On remarquera que des critères d’évaluation tels la productivité et la rentabilité économique ont été laissés de côté ; en effet ceux-ci relèvent de l’évaluation économique classique et en tant que tels sont extérieurs à la problématique du rapport. De tels critères ne figurent pas en effet dans les directives ou les lois et sont donc laissés à l’appréciation des actionnaires publics ou privés et du marché. A

u contraire, et bien au-delà de ce que l’on entend habituellement comme « benchmarking », nous avons essayé de recenser l’ensemble des objectifs susceptibles d’être fixés par les autorités publiques, afin que l’évaluation des performances du système, y compris de sa régulation, permette l’examen de leur effectivité et leur efficacité.

Les indicateurs tirés de cette grille doivent être confrontés au filtre d’analyse de la qualité propre des critères d’analyse sélectionnés. En effet, afin de faire l’objet d’un usage large et démocratique, les indicateurs de performances des services d’intérêt économique général doivent eux-mêmes obéir à un certain nombre de critères de qualité comme la pertinence, l’efficience (coût de la mesure non-disproportionné au bienfait attendu de sa production), la fiabilité, la compréhensibilité et la vertu (ne pas induire de comportements malsains).

Des instances d’évaluation pluralistes, spécialisées, autonomes

Comment définir, conduire et exploiter l’évaluation des performances des services d’intérêt économique général ?
Répondre à cette question implique de prendre en compte les caractéristiques spécifiques des services d’intérêt économique général, qui nous conduisent à mettre en avant six caractères essentiels.

1/ Les instances chargées de l’évaluation – Offices ou Observatoires ou … - doivent être ouverts à la pluralité des acteurs, de leurs attentes et aspirations, de leurs intérêts ; toute entrave à l’expression-intervention d’une des catégories d’acteurs appauvrirait l’évaluation et lui enlèverait une part de sa légitimité. Aucune catégorie d’acteurs ne doit pouvoir s’arroger – en droit ou en fait – le monopole de l’évaluation. La meilleure garantie de cette prise en compte de tous les acteurs est sans doute que des représentants de chaque catégorie d’acteurs fassent partie de la structure qui définit les orientations de l’évaluation et en assure le suivi.

2/ Nous avons insisté sur la spécificité de l’évaluation en même temps que sur ses rapports avec la régulation. L’évaluation n’a pas de pouvoir d’arbitrage ou de sanction, mais celui tout aussi essentiel de dire, de révéler. Ceci nous conduit à recommander que les instances chargées de l’évaluation soient spécialisées dans sa définition et sa conduite.

3/ Ces instances doivent avoir des marges d’autonomie par rapport aux différents acteurs concernés. Il existe des risques de confiscation de l’évaluation par certains acteurs si la fonction d’évaluation relevait entièrement et uniquement d’eux. Il pourrait en être ainsi, par exemple, si l’évaluation était confiée uniquement aux instances chargées d’assurer la fonction de régulation, ou aux instances politico-administratives qui définissent la réglementation, ou, au plan européen, à la seule Commission. L’évaluation doit prendre en compte la pluralité des informations et expertises ; des dispositifs de « recours » doivent permettre de contester la manière dont une évaluation est conduite et de générer une contre-expertise. Les instances chargées de l’évaluation doivent disposer de réels moyens d’expertise et d’investigation, garantis autant que possible par des lois.

4/ Compte tenu des propositions de grille de référence, les instances chargées de l’évaluation doivent être chargées d’un secteur spécifique (pouvant être les transports, l’énergie, l’eau-assainissement, les télécommunications, les services postaux), même s’il peut apparaître utile de prévoir des échanges entre les instances sectorielles, d’une part pour échanger expériences et bonnes pratiques, d’autre part pour examiner régulièrement les interactions entre secteurs (on retrouve de plus en plus fréquemment les mêmes opérateurs dans les différents secteurs).

5/ Il nous semble clair que les instances chargées de l’évaluation doivent être définies au niveau de chaque Etat membre (avec des dimensions qui peuvent être infra-nationales), en même temps qu’il faut définir au plan communautaire les modalités d’échanges, de confrontation, de comparaison, de coordination voire d’harmonisation, qui peuvent aussi être un appui pour les réalisations nationales. La dimension européenne est d’autant plus à prendre en considération que les marchés concernés sont de moins en moins nationaux et que les acteurs eux-mêmes sont de plus en plus transnationaux, au point que l’on peut parler d’« europérateurs ». A l’étape actuelle et pour initier le processus d’évaluation, on pourrait créer, comme l’avait proposé le rapport du CEEP de 1994, un Observatoire rattaché au Parlement européen, qui serait en interface avec les instances nationales, et qui pourrait ainsi disposer d’une réelle légitimité.

6/ Enfin, il faut toujours mettre en rapport les coûts des dispositifs que l’on projette de mettre en place pour évaluer les performances avec les avantages que l’on en escompte quant à l’efficacité du système. De ce fait, certains indicateurs pourront ne faire l’objet que de « coups de projecteur » périodiques.

Mettre les acteurs en capacité

L’évaluation a plusieurs objectifs, mais son but principal est de fournir une information la plus objective possible sur le fonctionnement d’un secteur, à charge aux acteurs d’en tirer ensuite les conclusions qu’ils souhaitent par rapport aux objectifs qu’ils se fixent. En ce sens, l’évaluation doit fournir les bases à un débat public et contribuer à l’existence d’une opinion publique européenne, en apportant l’information, qui en est une condition essentielle. Le caractère démocratique du débat dépendra de la capacité de tous les acteurs à y intervenir.

Les diverses autorités publiques y seront naturellement présentes. Elles avaient auparavant souvent le monopole de la parole légitime dans le débat ; elle continueront à y tenir une forte présence pour peu qu’elles assument leur rôle de définition des missions d’intérêt général et de régulation du secteur. Les opérateurs, ainsi que les grands clients industriels, ont également les ressources nécessaires pour tenir leur place dans le débat, et ils l’ont déjà tenue lors des discussions autour des directives et des lois de transposition.

Le problème se pose essentiellement pour les consommateurs-citoyens résidentiels. En effet, l’étude des diverses situations dans les Etat-membres montre qu’ils sont rarement en situation de faire entendre leurs voix de manière efficace lorsqu’ils ne disposent pas d’une institution leur permettant d’avoir accès au débat de manière durable et solide.

La création de « conseils des consommateurs » ( ), dotés de leurs propres moyens d’expertise et de communication, pourrait contribuer à l’efficacité de l’évaluation et permettre au consommateur-citoyen de tirer pleinement partie de celle-ci dans son jugement sur le mode d’organisation et de régulation des services d’intérêt économique général. La mise en place de « médiateurs » peut également contribuer à la prise en compte des aspirations de consommateurs.

Une volonté politique forte

Il reste que la mise en œuvre de ces propositions et recommandations suppose l’existence d’une volonté politique forte, pour vaincre les réticences et obstacles. Certains acteurs mettent en avant les difficultés et la complexité inhérentes à l’exercice pour la freiner voire l’entraver ; pour les responsables des autorités publiques, l’évaluation conduit à révéler des objectifs qu’ils ne souhaitent pas toujours expliciter ; certains opérateurs peuvent escompter que les utilisateurs ne disposent pas d’éléments précis de comparaison ; les acteurs qui estiment être en position favorable en matière de répartition des rentes peuvent ne pas souhaiter une véritable transparence ; etc.

C’est en développant une dynamique progressive d’évaluation que ces réticences et obstacles pourront être dépassés, bien davantage que par des règles ou injonctions. C’est pourquoi nous recommandons que soit conduite sans plus attendre toute forme d’expérimentation fut-elle partielle.

L’article 16 du traité de l’Union européenne reconnaît que les services d’intérêt économique général sont des composantes des « valeurs communes » de l’Union et souligne leur rôle dans la promotion de la « cohésion sociale et territoriale ». Ces mots forts n’auront de sens que s’ils sont déclinés dans chacun des domaines concernés et se traduisent dans leur efficacité sociétale, sans servir pour autant d’alibi à des formes de protections nationales.

Développer l’évaluation des performances des services d’intérêt économique général est un axe clé pour que ceux-ci répondent de mieux en mieux à leur finalité qui n’est autre que de répondre aux besoins des consommateurs, des citoyens et de la société et à leurs évolutions.