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L’impossible accès au logement

Publié par , le 20 février 2008.

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L’Aitec, avec la FAPIL et le DAL a fait remonté, grâce au CETIM (notre partenaire à Genève), une déclaration sur "l’impossible accès au logement" au secrétariat de l’ONU.

Cette déclaration est distribuée sur papier lors du Conseil des droits de l’homme du 3 au 28 mars 2008, toutes les personnes présentes la recevront (missions permanentes, ONG, rapporteurs spéciaux, etc). Elle est aussi disponible sur le site internet du Haut Commissariat aux droits humains. L’objectif est que le rapporteur spécial droit au logement vienne faire une mission en France.

L’impossible accès au logement[1]

Dans un pays qui compte 3.3 millions de personnes mal logées ou sans logement, 6 millions de personnes en situation de réelle fragilité, il est urgent de réunir les conditions pour mettre en œuvre le droit au logement !

Des textes à la réalité !

Au regard des textes ratifiés, des positions officielles, et du vote de la loi sur le droit au logement opposable (5 mars 2007), qui pourrait douter de la détermination de la France à garantir le droit au logement ? Pourtant, les atteintes au droit au logement persistent et recouvrent des situation multiples : statuts d’occupation sans protection légale, sur occupation, habitat indécent et indigne, habitat en camping, squats, bidonvilles, hébergements en hôtels, en foyer, la rue…

La France a signé les principaux textes adoptés dans le cadre de l’ONU qui lient étroitement la protection du logement à la notion de dignité humaine[2]. Au niveau européen, la France reconnaît que le logement fait partie du droit à une vie familiale normale (CESDH[3] -1950) et s’engage à assurer l’exercice effectif du droit au logement et du droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (art. 31 et art. 30 de la Charte sociale européenne révisée en 1996).

En France, le droit au logement est reconnu par la loi comme un droit fondamental et reconnu depuis 1995 comme un objectif constitutionnel. La loi du 5 mars 2007 institue un droit au logement opposable.

Toutefois, ce texte est peu contraignant pour les pouvoirs publics :

 un mécanisme d’opposabilité restreint : le recours juridictionnel spécial n’est ouvert qu’aux personnes classées prioritaires par décision administrative, le juge est limité dans son pouvoir d’appréciation, il n’a pas la garantie de l’exécution de sa décision et le demandeur n’est pas indemnisé s’il n’est pas effectivement logé.

 Le droit au logement convenable est celui d’accéder et de se maintenir dans un logement décent, sûr et indépendant. Le droit au logement n’est pas le droit à l’hébergement. La loi française reste confuse sur le droit qu’elle vise en permettant à tout moment de la procédure de proposer un hébergement plutôt qu’un logement. Si l’hébergement peut participer à un projet d’insertion, il ne peut être la solution adaptée pour les populations les plus pauvres, comme certaines mesures prévues par la loi le laissent supposer.

 Afin de prétendre au logement, les personnes étrangères doivent remplir des conditions de permanence de séjour plus restrictives que pour les nationaux. Cette disposition exclut du dispositif des personnes pourtant en situation régulière ce qui constitue une inégalité de traitement injustifiée portant atteinte à la garantie d’un droit fondamental.

 Cette loi n’est pas portée financièrement et l’aide directe aux plus démunis représente moins de 1 % des politiques de l’habitat.

Ces textes sont sans portée s’ils ne sont pas assortis de politiques publiques ambitieuses en mesure de garantir le droit reconnu. Tous les indicateurs montrent une dégradation des conditions de vie des groupes les plus vulnérables : les politiques menées et les choix opérés vont en effet à l’encontre d’un droit au logement effectif et la crise du logement s’aggrave chaque année[4].

Des politiques publiques qui ne répondent pas aux besoins !

 L’évolution socio-démographique n’a pas été anticipée par l’Etat : décohabitation des enfants, divorces, vieillissement, ont généré une demande plus importante pour des revenus plus faibles. La progression du chômage et de la précarité impactent également les territoires : à la crise du logement s’ajoute la crise sociale.

 L’envolée des prix du marché immobilier et des loyers ont contribué à l’augmentation de la précarité sociale et excluent les plus vulnérables de l’accès au logement de droit commun. En 6 ans, le coût du logement dans le parc privé a augmenté deux fois plus vite que les revenus des ménages. Aujourd’hui, le logement devient le poste le plus lourd dans le budget des ménages empiétant d’autant sur la satisfaction d’autres besoins essentiels. Cette augmentation du prix du logement rend les bailleurs plus exigeants et la pénurie de logement occasionne des critères de sélection discriminants pour les locataires. L’exclusion concerne une catégorie de personnes de plus en plus large et les salariés sont aussi touchés.

 Les aides au logement voient leur efficacité diminuer : leur revalorisation par l’Etat est bien inférieure à l’augmentation des loyers et n’intègre pas la forte hausse des charges qui va s’accentuer avec la déréglementation récente des services de l’électricité et du gaz.

La pénurie de logement s’est accrue au cours de ces vingt dernières années : le déficit cumulé de production de logement est estimé en 2007 à 800 000 logements. Certes on construit mais l’offre n’est pas en phase avec la demande. Cet écart renforce les inégalités.

Réduction du parc social

La loi de programmation pour la cohésion sociale, corrigée en 2007, prévoit la construction de 591 000 logements sociaux. Cette production de logements s’étire sur 5 ans. Etant donné les types de financements engagés et les niveaux de loyers prévus, l’accent est mis sur la production de logements en direction des ménages les plus solvables.

Un programme national de rénovation urbaine prévoit la destruction de 250 000 logements : 3.5 millions de personnes sont concernés, 531 quartiers en France. Il faut reloger les ménages et attendre une reconstruction qui prend du temps. Or, la règle du 1/1 n’est pas appliquée c’est à dire qu’il n’y a pas un logement construit pour un logement détruit. Par conséquent, les délogés de la démolition sont souvent relogés dans des HLM anciennes, non réhabilitées, mal entretenues : ils perdent au change alors qu’ils n’ont pas demandé la démolition.

Dans le même temps, l’Etat envisage la vente d’une partie des logements sociaux à leurs occupants : 40 000 logements/an sortent du parc social pour le marché privé[5] et favorise l’investissement privé par des aides fiscales. Les mécanismes spéculatifs sont encouragés.

La pénurie de logements abordables tient aussi aux réticences locales. 742 communes ont l’obligation de créer au moins 20 % de logements sociaux sur leur territoire, en vertu de l’article 55 de la loi SRU du 13 décembre 2000. Cette obligation n’est pas respectée, beaucoup de communes préfèrent payer une amende insuffisamment dissuasive plutôt que construire.

La crise du logement est aussi une crise foncière : le problème de la cherté du foncier ne se résout pas et aucune politique globale n’est menée en ce sens.

Enfin, l’existence du logement social est menacée par la remise en cause des circuits de son financement. Couplée à la politique de plus en plus active de vente du parc, la réforme du livret A (livret d’épargne populaire dont les intérêts financent en partie le logement social[6]) accentue la marchandisation du logement social.

Un certain nombre de compétences oeuvrant à l’application du droit au logement ont été déléguées ou transférées par l’Etat aux collectivités territoriales par souci de proximité. Mais cette multiplication des responsables permet à chacun de se défausser de ses responsabilités sur les autres et ne contribue pas à la mise en œuvre d’une politique cohérente.

Le droit au logement convenable pour tous n’est ni effectif ni concret !

En l’état actuel des moyens alloués, l’Etat ne peut garantir le droit au logement que pour 1/10ème des requérants potentiels[7].

En 6 ans, les délais moyens d’accès au logement ont augmenté de plus de 6 mois et peuvent atteindre 10 ans à Paris. Les ménages pauvres et les personnes immigrées sont celles qui attendent le plus longtemps. Le principe de mixité sociale est devenu un prétexte des collectivités locales et des bailleurs publics pour refuser leurs demandes.

Même si les conditions d’habitat s’améliorent globalement, la question sanitaire reste importante : dans 400 000 à 600 000 logements indignes vivent environ 1 million de personnes, sans compter les ménages qui n’accèdent pas au logement. La santé des occupants est préoccupante au regard du nombre de logements insalubres et dangereux et de l’insuffisance des moyens de contrôle. Les défaillances de mise en œuvre des protections sanitaires des individus porte atteinte à leur droit à la santé et à la dignité humaine.

Comme a pu le constater le Rapporteur spécial sur le droit au logement, Miloon Kothari, lors de sa visite en France en 2007, les squats et les bidonvilles réapparaissent et les occupants en sont massivement expulsés sans solutions de relogement. Ces conditions d’habitat subies ne sont pas prises en compte dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne ; aucune protection juridique, ni droit au relogement ou à l’hébergement ne sont prévus pour ces occupants.

Le problème des sans abris n’est pas maîtrisé et les sans logis sont toujours aussi nombreux. L’accès au logement ne leur est plus garanti et les structures d’hébergement sont saturées. Les expulsions de locataires, génératrices de sans-abrisme et de mal logement, sont plus nombreuses ; 90 % d’entre elles sont motivées par un impayé de loyer. Les décisions d’expulsions sont prises sans connaître la situation économique, sociale et de santé des occupants et sans qu’un relogement ne soit garanti. Entre 2000 et 2005, le nombre d’expulsions a augmenté de 40 % et celles obtenues avec le concours de la force publique de 65 %.

Les statuts d’occupation précaires se multiplient et le logement de droit commun est de moins en moins accessible aux personnes défavorisées et catégories modestes. Les protections locatives s’affaiblissent voir disparaissent. C’est pourtant en sécurisant les habitants face aux bailleurs et aux propriétaires que l’on peut garantir le droit au logement effectif.

Ces dernières années, le recours à l’hébergement en hôtel a été fréquent pour les personnes les plus vulnérables, notamment les demandeurs d’asile. De nombreuses structures d’hébergement ont elles-mêmes été sanctionnées pour l’expulsion d’occupants pour ne pas avoir suivi la procédure juridique.

Les garanties procédurales s’amoindrissent pour certaines catégories de la population :

 La procédure d’expulsion d’urgence a été accélérée à 72 h pour les occupants sans droit ni titre (par la loi instituant un droit au logement opposable) et pour les gens du voyage (par la loi relative à la prévention de la délinquance).

 Elle ne requiert plus l’autorisation préalable du juge et peut être ordonnée directement par le préfet.

Comme l’a encore constaté le Rapporteur spécial, Miloon Kothari, en 2007, les gens du voyage sont maintenus en marge du droit au logement. La loi du 5 juillet 2000 qui oblige les communes de plus de 5 000 hab. à réaliser des aires d’accueil, n’est pas appliquée : moins de 25 % des 40 000 places prévues ont été créées par les communes laissant 80 % des gens du voyage sans lieu de stationnement. Dans ces conditions, l’accès aux services, aux équipements essentiels à la santé, à la sécurité, à la nutrition est extrêmement difficile (eau potables, énergie, installations sanitaires, évacuation des déchets). L’installation sur un terrain afin d’y établir une habitation même temporaire et sans autorisation est passible d’une peine d’emprisonnement, d’amende, de suspension du permis de conduire et de confiscation des véhicules, De plus, ces conditions de vie sont qualifiées de troubles à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publique constituant un délit :

D’autres différences de traitement touchent encore les ménages étrangers et rompent avec le principe d’égalité, par exemple :

 La politique relative aux foyers de travailleurs migrants maintient ces derniers à un niveau de protection inférieure (les règlements intérieurs des foyers sont souvent draconiens et en contradiction avec le respect de la vie privée).

 Les conditions de logement requises pour les prétendants au regroupement familial exigent une superficie bien supérieure aux critères exigée pour un ménage français (Avant 1998, le regroupement familial rendait prioritaire la demande d’un logement social) ;

Des pistes pour interpeller la France sur la mise en œuvre du droit au logement :

Le droit au logement repose sur l’existence d’un stock suffisant de logements accessibles et décents (production publique, régulation du secteur privé, qualité de l’habitat) mais également sur[8] la protection légale (statuts d’occupation, droit des demandeurs, couverture des risques sociaux) et des services ciblés (groupes vulnérables, services spécifiques).

Pour y parvenir, les informations et les statistiques sont indispensables pour :

 mesurer l’écart entre la demande des ménages et les options politiques mises en place (dans le type de construction de logements sociaux, dans le budget consacré au logement, dans les projets ANRU-Agence nationale pour la rénovation urbaine…) ;

 mesurer les situations critiques de mal logement, voir également l’impact sur les classes moyennes (signe de l’ampleur de la crise du logement en France) et les dispositifs réglementaires censés y remédier ;

 évaluer la diminution du stock de logements accessibles (privatisation, déconventionnement, tarissement des sources de financement du logement social, prix des loyers…)

 évaluer les instruments de la politique foncière ;

 mesurer la discrimination dans l’accès au logement ;

Il est urgent de faire un état des droits des locataires et des mal ou non logés, tout en misant sur la production massive et immédiate de logements accessibles et la réglementation des loyers. L’évolution législative doit être évaluée au regard de l’exigence d’une progression permanente des droits fondamentaux.


[1] Cette déclaration a été élaborée en collaboration avec l’Aitec (Association internationale des techniciens, experts et chercheurs), la FAPIL (réseau d’opérateurs associatifs travaillant pour le droit à un habitat adapté aux besoins de chacun-e) et le DAL (Droit au logement).

[2] Nous nous référons entre autres à la ratification de la DUDH (1948, art. 25) ; du PIDESC (1966, art. 11) ; de la déclaration de Vancouver sur les établissements humains en 1976 à la Convention d’Istanbul « Habitat II » en 1996, d’autres textes des Nations Unies et de l’OIT concernent des publics spécifiques (réfugiés, enfants. Travailleurs, femmes…). Voir aussi la brochure du CETIM Le droit au logement, publiée en 2007.

[3] Cf. Convention Européenne des Droits de l’Homme et Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

[4] Nous reprenons ici le constat du rapport annuel sur le mal logement de la Fondation Abbé Pierre, 2007.

[5] On doit encore ajouter le nombre de logements déconventionnés, donc sortis du stock HLM.

[6] En 2005, les prêts consentis par la Caisse des dépôts sur les fonds du Livret A représentaient 71,6 % du financement d’un logement social.

[7] On se fonde ici uniquement sur les requérants potentiels (estimés à 600 000), reconnus prioritaires dans la loi DALO (droit au logement opposable).

[8] Nous reprenons ici les conclusions de la table ronde inclusion sociale de l’Union Européenne. Glasgow, 2005.



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