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Paris/ Istanbul : Rénovation urbaine et mobilisation habitante

Publié par , le 11 avril 2008.





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A Paris les habitants des cités, à Istanbul les habitants d’anciens bidonvilles, se mobilisent et s’organisent pour lutter contre la rénovation urbaine.

Echanges d’expériences entre Kaissa Titous, animatrice de la Coordination Anti-Démolition des Quartiers Populaires et Derya Ozel, volontaire envoyée à Istanbul dans le cadre du programme européen de lutte contre l’exclusion urbaine.

D.O : Dans quel contexte s’est formée la Coordination Anti-Démolition des Quartiers Populaires ?

K.T : Un vaste programme de rénovation urbaine a été mis en place depuis 2003 (Loi Borloo). Cette politique nationale prétend résorber les inégalités territoriales, répondre de manière durable aux problèmes sociaux des banlieues et régler la question de la mixité sociale. Les habitants apprennent les projets ANRU par voie de presse ou affiche dans leurs halls. L’ANRU subventionne très fortement les démolitions et les exige parfois pour valider les projets. Les démolitions sont exécutées souvent avant reconstruction. Les habitants n’ont aucune garantie d’être relogés dans le quartier. Les habitants parlent d’épuration sociale. Ces démolitions aggravent le manque de logement social mais nient la mémoire et l’histoire des habitants quand ils ne les font pas disparaître pour accueillir des populations à profil fiscal plus intéressant.

D.O : A Istanbul, depuis 2004, avec le gouvernement de l’AKP (parti pour la justice et le développement), les projets de renouvellement urbain se sont multipliés. Les quartiers concernés sont stigmatisés comme des foyers de « terroristes », de drogue, de prostitution. Pour le quartier rom de Sulukule, la mairie s’appuie sur une nouvelle loi de rénovation du patrimoine. Or, il ne s’agit pas de restaurer le bâti mais de le détruire. Ce sont surtout des projets de spéculation foncière, où la question de la participation des habitants n’est même pas évoquée. Ils apprennent eux aussi la nouvelle par les médias. Ces quartiers ont 50, 60 ans d’histoire : les habitants ont apporté les services de base, ont légalisé leur statut d’occupants. C’est leur mémoire et leur histoire que l’on détruit. La question du relogement est en plus un leurre : on propose un endettement à ces habitants à long terme (15 ans) pour qu’ils deviennent propriétaires. Dans la majorité des cas, ils n’ont pas les moyens de payer les mensualités et se retrouvent à chercher des solutions par eux-mêmes.

K.T : Tu as rencontré des habitants qui ont construit une plateforme de 17 quartiers (en turc, Istanbul Mahalle Dernekleri Platformu) contre les projets de renouvellement urbain

D.O : Oui, elle s’est formée en 2006 avec 7, 8 quartiers. Elle compte aujourd’hui 17 quartiers. Elle a organisé en juin 2007 un forum : « les quartiers s’expriment ! » avec la participation de 800 habitants. Ce type de manifestation est très important pour fédérer les quartiers entre eux et créer une dynamique de mobilisation à l’échelle métropolitaine. Depuis la fin de l’année 2007, cette plateforme cherche à être autonome par rapport aux professionnels de la ville et aux universitaires et les quartiers sont de plus en plus au cœur de ce dispositif d’organisation et de mobilisation.

D.O : Et à Paris, qui a été à l’initiative de la Coordination Anti-Démolition des Quartiers Populaires ?

K.T : Les habitants de la Coudraie à Poissy et ceux de Gennevilliers ont lancé un premier appel en 2004 avec l’appui d’associations1. La cité de la Coudraie allait être détruite (608 logements). Le maire stigmatisait la population pour justifier la disparition de la cité afin d’y construire un hôpital. La Coordination se crée à ce moment-là. Aujourd’hui, des quartiers sont en lutte partout en France (Marseille, Montpellier, Epernay, Le Havre, Alençon...).

D.O : Quel est le but de cette Coordination ?

K.T : La Coordination est un lieu d’échange d’expériences, de partage d’information et de solidarité des luttes. Les habitants essaient collectivement d’élaborer des réponses (comment contester le permis de démolir, comment interpeller les préfets et la direction de l’ANRU sur les incohérences et les insuffisances de la rénovation urbaine : les reconstructions ne compensent pas les démolitions, les relogements ne respectent pas les règles édictées - comment faire respecter les droits des habitants). Dans le même temps, les associations sur les quartiers conservent toute leur autonomie pour organiser la résistance face à ces projets (tracts, réunions publiques, contestation publique lors des conseils municipaux, sensibilisation de l’opinion publique). Les habitants arrivent à organiser de vraies résistances. Aujourd’hui, certains résultats électoraux municipaux peuvent donner à espérer un abandon de certains projets de démolitions. Rien ne remplace la mobilisation et la détermination des locataires concernés !

K.T : Et que fait cette plateforme des associations de quartiers d’Istanbul ?

D.O : La plateforme multiplie les rencontres entre associations de quartiers. Dernièrement, suite aux émeutes entre la police et les habitants dans un quartier, elle a montré son soutien aux habitants : elle a participé aux manifestations contre le projet de la mairie, elle a organisé des interventions de soutien auprès des habitants. C’est très important d’informer, d’échanger les expériences et de convaincre les habitants. La mobilisation peut être facilement brisée entre propriétaires/locataires avec les stratégies malhonnêtes de la mairie. La plateforme, menée par des militants avertis, est dans un processus de construction et en même temps elle a déjà posé des bases solides –selon moi. Elle ne veut pas être récupérée par des partis politiques ou par des professionnels de la ville. Elle veut réellement que les habitants prennent en main les choses.


K.T : Les habitants du quartier rom, Sulukule, ont-ils mené leur lutte avec cette plateforme ?

D.O : Oui, au début seulement, puis ils se sont séparés en mettant en avant leur identité rom pour servir leur lutte. Mais on voit bien aujourd’hui que jouer avec les différences de chaque quartier (sociales, ethniques, économiques, politiques) ne renforce pas une lutte –au contraire. La mobilisation n’y a pas duré longtemps. L’énergie et la détermination des quelques militants ont été mises à l’épreuve. Or, comme j’ai pu le constater avant de quitter Istanbul, il y avait un potentiel de mobilisation dans ce quartier. Dommage.

K.T : Comment vois-tu l’évolution de cette lutte ?

D.O : Ce mouvement ne va pas s’essouffler du jour au lendemain. Ces militants sont déterminés et ont de l’énergie. Mais ce n’est pas facile tous les jours : il faut convaincre sans cesse ses voisins dans le quartier. Les militants dénoncent les pièges de ces projets, ils insistent sur l’importance de la mobilisation à l’échelle du quartier. En tout cas, ils ont une soif de connaissance d’autres pratiques et sont très motivés pour échanger leurs expériences !

Blog de la Coordination : http://antidemolition.blogspot.com