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Coup de frein sur la privatisation des trains allemands !

Publié par , le 11 avril 2008.





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La privatisation et la cotation en bourse de l’entreprise publique allemande de chemins de fer, la Deutsche Bahn, aurait pu être votée par le Parlement il y a plusieurs mois.
Mais une campagne citoyenne regroupant des acteurs très variés de la société civile est venue semer le trouble dans un projet pourtant bien huilé. Retour sur une victoire du mouvement social allemand.

L’affaire était entendue : la privatisation des trains devait être votée par le Parlement avant le printemps 2006. Elle faisait d’ailleurs partie du contrat signé en 2005 par la grande coalition formée par les conservateurs de la CDU [1] et les sociaux-démocrates du SPD [2] .

Une privatisation nécessaire au développement de la Deutsche Bahn ?

La décision d’ouvrir le capital de la Deutsche Bahn par une cotation en bourse semblait donc faire l’objet d’un consensus : elle répond à un besoin d’investissements nouveaux donnant à l’entreprise une envergure de leader mondial du transport. Selon les managers de la Deutsche Bahn, son développement est freiné par une obligation de service public en matière de transport des passagers sur l’ensemble du territoire national.

La DB privatisée deviendrait un véritable acteur mondial et pourrait alors étendre son réseau de fret jusqu’à la Chine. Elle concurrencerait enfin son éternelle rivale, la SNCF, qui, grâce au TGV, impose désormais sa présence dans toute l’Europe. Cette privatisation prolonge d’ailleurs un mouvement général de libéralisation des services publics allemands (les services postaux, la fourniture d’électricité, l’eau, les télécoms etc.), encouragé par les directives de la Commission Européenne.

Surprise au congrès du SPD

La surprise des partenaires du SPD dans la grande coalition a donc été de taille à l’issue du congrès du parti, qui s’est tenu à Hambourg à la fin du mois d’octobre 2007 : les parlementaires sociaux-démocrates voteront la privatisation de la DB seulement si elle se limite à 25% du capital et si les actionnaires restent « sans vote ».
Cette dernière clause empêche les nouveaux investisseurs privés de prendre part aux choix de gestion de l’entreprise, qui demeure de fait sous le contrôle de l’Etat.

Cette motion n’est pas aussi tiède qu’elle paraît. Elle marque en réalité un véritable coup d’arrêt au processus de privatisation : en soumettant la décision à la clause de l’actionnariat sans vote, les sociaux-démocrates font une proposition inacceptable pour la CDU et renvoient ainsi la responsabilité de l’échec du compromis sur leurs partenaires.

Une campagne citoyenne à l’origine du revirement du SPD

Mais comment le SPD, prêt à voter le projet de loi en mars 2006, se trouve-t-il aujourd’hui engagé dans ce jeu délicat ? Comment l’opinion publique allemande, qui, il y a un an et demi, était plutôt prompte à accepter la privatisation, s’est-elle radicalement retournée ?
La campagne citoyenne « Bahn für alle » (« Un train pour tous ») pourrait ne pas être pour rien dans ce revirement de situation. Initiée par Attac, par des associations écologistes et un groupe d’experts en transports, elle avait à l’origine pour objectif d’imposer dans le débat public la question de la privatisation du train, et de proposer aux médias, qui s’en désintéressaient jusqu’alors, une approche critique du dossier.

Des militants de divers horizons pour une campagne unitaire

Des militants de différents horizons se retrouvent et s’appuient sur deux types d’actions pour mener cette bataille. Ils organisent un lobbying intensif en direction des parlementaires SPD afin que ceux-ci bloquent l’adoption de la loi privatisant la DB.

Parallèlement, ils mènent de très nombreuses actions de sensibilisation de l’opinion publique et des médias : des mini-pièces de théâtre participatif sont jouées directement dans les wagons, impliquant les voyageurs et caricaturant les conséquences prévisibles de la privatisation, des séances de « Trainopoly » [3] illustrent les dommages causés par une éventuelle privatisation d’un bien public, des « flashmobs » [4] simultanées dans 50 gares du pays attisent la curiosité des voyageurs.

La campagne se renforce peu à peu par l’adhésion progressive des usagers de la Deutsche Bahn et l’arrivée de nouveaux partenaires dans la mobilisation active : un an après les premières actions, les deux grosses centrales syndicales allemandes (Ver.di et IGMetall) se joignent au mouvement. Plus tard les organisations de jeunesses des partis politiques de gauche apportent leurs ressources spécifiques à l’initiative. À la capacité de mobilisation locale s’adjoint ainsi le poids politique d’organisations reconnues nationalement.

Difficile de travailler ensemble…

La collaboration n’est néanmoins pas toujours aisée : les cultures politiques et les manières d’agir rendent parfois le compromis difficile à trouver. Mais chaque organisation (15 actuellement [5] ) apporte ses ressources particulières et ses savoir-faire : de l’analyse technique ou politique, des salariés, de l’argent, des contacts privilégiés avec les parlementaires et aussi des militants prêts à escalader la façade de la gare centrale de Berlin pour y suspendre une gigantesque banderole.

L’ampleur et la durée inhabituelles de cette campagne commune étonnent et suscitent l’enthousiasme. Pourtant, si la motion adoptée par le SPD est bien une victoire arrachée sur la privatisation des trains, chacun a conscience de la fragilité de cet acquis.
La bataille continue !

Le plus dur reste encore à venir : dans les prochains mois, les membres de la campagne « Bahn für alle » chercheront à poser les bases techniques et politiques d’une alternative à la privatisation. En effet, l’alliance ne se satisfait pas des conditions proposées par le SPD et maintient sa revendication d’un service public du transport.

Mais la plus grande victoire de cette campagne réside sûrement dans cette capacité d’organisations citoyennes très différentes à travailler ensemble. C’est ce type de coopération qui avait déjà conduit au succès du rassemblement contre le G8 de Heiligendamm en juin 2007 et qui porte un véritable espoir pour le mouvement social allemand.


Pour en savoir plus :
Site internet de la campagne « Bahn für alle »
et d’autres photos des actions ici
un "vrai-faux" dépliant publicitaire de la Deusche Bahn, revu et corrigé par les militants de la campagne : vous y trouverez tous les arguments qui vont dans le sens d’un refus de la privatisation du train (en allemand)
encore plus d’arguments contre la privatisation du train (en allemand)

Cet article a été rédigé à quatre mains avec Gildas Jossec, ancien volontaire du programme à Berlin. Pour voir les articles de Gildas, c’est par ici

Il est à paraître dans le numéro de janvier de la revue Territoires

[1] Union chrétienne démocrate : parti leader de la droite allemande, à la tête de la coalition de gouvernement dirigée par Angela Merkel.

[2] Parti social-démocrate allemand : principal parti de gauche, qui fait partie de la coalition gouvernementale actuellement au pouvoir.

[3] Bahnopoly en allemand

[4] Mobilisation très courte et simultanée dans divers endroits du pays, portant un message énigmatique, qui vise à éveiller la curiosité des voyageurs : ceux-ci seront plus sensibles ensuite au débat mené dans les médias.

[5] Attac, Bundes Umwelt Naturschutz Deutschland (BUND), Bürgerbahn statt Börsenbahn, Bahn von unten, Eurosolar, Grüne Liga, Grüne Jugend, IG Metal, Jusos, NaturFreunde Deutschlands, Robin Wood, Solid, Umkehr e.V., Verkehrsclub Deutschland, Ver.di.