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"Le cycle de négociations de Doha de l’OMC ne résoudra pas la crise alimentaire mondiale – Il est temps de trouver de vraies solutions."

Publié par Collectif d’organisations, le 22 mai 2008.

Nous avons tous été récemment témoins de la cynique appropriation de la crise alimentaire actuelle par ceux qui appellent a une conclusion rapide du Doha Round, comme si davantage de libéralisation de l’agriculture pouvait aider à résoudre la crise alors que c’en est précisément l’une des ses causes.

Les organisations du réseau mondial OWINFS ont donc envoyé la lettre d’interpellation ci-dessous.
L’Aitec s’est associé à cette démarche.

Commerce et développement Union européenneOMC



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Le cycle de négociations de Doha de l’OMC ne résoudra pas la crise alimentaire mondiale – Il est temps de trouver de vraies solutions.

À : Messieurs les Ministres du Commerce et
Messieurs les Ministres de l’Agriculture
CC : Monsieur Pascal Lamy, Directeur général de l’OMC
Monsieur Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du Fonds monétaire international
Monsieur Angel Gurría, Secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

Objet : Le cycle de négociations de Doha de l’OMC ne résoudra pas la crise alimentaire mondiale – Il est temps de trouver de vraies solutions.

Messieurs les Ministres,

Le système alimentaire mondial est en crise. Des millions de personnes n’ont plus les moyens ou la possibilité d’accéder aux aliments qu’il leur faut, de sorte que la famine et la malnutrition s’aggravent dans le monde. Les gouvernements doivent faire quelque chose, et tout de suite. Mais la réponse au problème ne réside pas dans la déréglementation plus poussée de la production et du commerce de produits alimentaires. Nous, organisations non gouvernementales et mouvements sociaux, nous vous exhortons à rejeter les affirmations des leaders de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui disent que la crise actuelle sera résolue si le cycle de Doha est conclu [1].

Nous sommes persuadés que, tel qu’il est prévu, le Cycle de Doha va intensifier cette crise en rendant les prix des produits alimentaires plus volatiles, en rendant les pays en développement plus dépendants des importations et en renforçant le pouvoir des agro-industries multinationales dans les marchés alimentaire et agricole. Les pays en développement risquent fort de perdre davantage d’espace politique dans leur secteur agricole, et cela limiterait leur capacité de faire face à la crise actuelle et d’améliorer le niveau de vie des petits producteurs.

L’incapacité de contrôler la crise alimentaire illustre l’échec de trois décennies de déréglementation commerciale de l’agriculture. Il nous faut un système commercial d’un modèle différent, qui mette le développement, l’emploi et la sécurité alimentaires au centre des objectifs à atteindre. Nous demandons des solutions réelles, qui stabilisent la production et la distribution des produits alimentaires de manière à répondre à la demande mondiale de nourriture saine, en quantité suffisante et à un prix abordable. Les gouvernements doivent commencer à considérer les défis qui se posent à l’agriculture avec une vision de long terme. Le récent rapport de l’Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles au service du développement (IAASTD) dit que, si l’agriculture moderne a permis d’accroître considérablement la productivité, les bénéfices ont été partagés de façon inégale et ont été obtenus à un prix de plus en plus intolérable pour les petits agriculteurs, les travailleurs, les communautés rurales et l’environnement. Il faut s’orienter vers un modèle d’agriculture susceptible de répondre aux besoins d’une population de plus en plus nombreuse.

Le Cycle de Doha de l’OMC et les autres accords commerciaux bilatéraux et régionaux qui sont en cours de négociation ne vont pas résoudre la crise alimentaire, pour les raisons suivantes :

1. Les accords commerciaux de l’OMC, bilatéraux et régionaux imposent une libéralisation systématique qui aggrave l’instabilité des prix des produits alimentaires. Cela accroît la dépendance des marchés internationaux et diminue l’investissement dans la production vivrière locale. La libéralisation du commerce a érodé la capacité de certains pays en développement, comme le Mexique, le Bangladesh, l’Indonésie et le Mali, de subvenir à leurs besoins alimentaires. Par suite de l’élimination des barrières douanières, des pays en développement tels que le Ghana, le Kenya, les Philippines, la Jamaïque et le Honduras, ont été inondés de produits fortement subventionnés qui ont porté atteinte à la production alimentaire locale.

Ainsi, les pays en développement qui étaient des exportateurs nets de produits alimentaires sont devenus des importateurs nets de ces mêmes produits [2] . Deux tiers des pays en développement sont importateurs nets de produits alimentaires et extrêmement vulnérables à la volatilité des prix internationaux. Les propositions faites dans le cadre du Cycle de Doha vont accroître la dépendance des pays des aliments importés et réduire encore plus leur capacité de nourrir leurs propres populations.

2. La hausse des prix des produits alimentaires apporte d’énormes bénéfices aux agro-industries transnationales et aux cartels de produits de base qui contrôlent le commerce dans les secteurs alimentaire et agricole. L’un des principaux protagonistes du commerce mondial de céréales, Cargill, a annoncé en avril 2008, en pleine crise alimentaire mondiale, que ses profits avaient augmenté de 86 % et atteint 1,03 milliards de dollars pour le trimestre écoulé [3]. Pour le dernier trimestre 2007, Bunge a vu ses profits augmenter de 77 % par rapport à la même période de l’année précédente [4]. Le Cycle de Doha va fortifier la position des sociétés transnationales dans les marchés agricoles, qui prospèrent grâce à la déréglementation commerciale.

3. Les négociations de Doha ne s’attaquent pas aux principaux problèmes auxquels se heurte le système alimentaire mondial : le changement climatique, la diminution des ressources naturelles, le quadruplement du prix du pétrole, l’absence de concurrence sur les marchés internationaux de produits de base, la spéculation financière et l’expansion rapide de la production non durable d’agrocarburants.

Nous sommes d’avis que, pour résoudre la crise alimentaire, il faut prendre les mesures suivantes :

1. Les gouvernements et les communautés doivent disposer d’une série d’outils qui leur permettent de mettre en place des systèmes alimentaires et agricoles résistants, susceptibles d’affronter les défis que l’avenir nous réserve. Pour cela, il faut mettre davantage l’accent sur des politiques favorables à la souveraineté alimentaire, protéger la production locale contre le dumping, entreprendre une réforme agraire authentique et permettre l’existence d’instruments commerciaux tels que les quotas et les tarifs douaniers. Certains de ces instruments sont proposés par un groupe de 46 pays en développement – le G33 – aux négociations de l’OMC sur les produits spéciaux et sur le mécanisme de sauvegarde spéciale.

2. La volatilité des prix agricoles doit être combattue au moyen de politiques nationales et de mesures mondiales pour éviter les crises alimentaires et pour que les petits producteurs puissent compter sur des revenus stables. Il faut ré-établir des stocks publics bien gérés, car ils sont un moyen important de combattre l’instabilité des prix et l’insécurité alimentaire. Il faut contrôler la spéculation et éviter que les commerçants et les détaillants obligent les consommateurs à payer des prix extrêmement élevés. Le groupe africain a présenté il y a longtemps à l’OMC une proposition concernant la possibilité que les pays producteurs de produits de base puissent passer des accords entre eux pour stabiliser les prix. Cette proposition mérite d’être examinée plus attentivement.

3. Les gouvernements devraient mettre en place des filets de sauvetage et des systèmes publics de distribution pour éviter la famine généralisée. Ils doivent fournir aux consommateurs les plus pauvres du soutien financier pour qu’ils puissent se nourrir, en y affectant le maximum des ressources disponibles de l’État et de la communauté internationale.

4. Il est nécessaire de réformer le système d’aide alimentaire pour en accélérer la capacité de réponse et rendre plus souple la livraison. Au lieu d’utiliser les excédents de la production agricole comme aide alimentaire « en nature », les donateurs devraient fournir de l’argent aux gouvernements et aux agences d’aide pour qu’ils achètent des aliments produits localement.

5. Les pays en développement ne devraient pas s’engager à libéraliser les services financiers dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (GATS) ou des négociations commerciales bilatérales et régionales, car cela pourrait empêcher l’accès des agriculteurs à des services financiers tels que l’assurance et le crédit.

Nous comptons sur la possibilité de discuter de ces questions avec vous, et de voir surgir des solutions réelles à la crise alimentaire mondiale.

Veuillez agréer, Messieurs les Ministres, l’expression de nos salutations distinguées.


Lire aussi sur le site de l’Aitec :
Sénégal : inflation des prix alimentaires, montée des protestations populaires et Le droit a l’alimentation et la souveraineté alimentaire : l’actualité au Niger


[1Le Directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, a dit au Conseil général et au Comité des négociations commerciales (CNC) que « nous sommes tous témoins des turbulences financières que nous traversons et des augmentations des prix de l’énergie et des produits alimentaires qui touchent gravement nombre de vos pays. Alors que l’économie mondiale traverse une passe difficile, l’aboutissement du Cycle de Doha peut offrir un point d’ancrage solide ». M. Lamy a argumenté que l’expansion continuelle du commerce multilatéral est une police d’assurance contre les instabilités du marché et les turbulences financières. Le président de la Banque mondiale et ancien représentant de U.S. Trade, Robert Zoellick, a dit dans un discours prononcé au Center for Global Development que, pour résoudre la crise alimentaire, l’essentiel est de « sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le Programme de développement de Doha ». Il a dit : « Un système de commerce agricole mondial plus équitable et plus ouvert offrira davantage d’opportunités aux agriculteurs africains et à ceux d’autres pays en développement de développer leur production, et leur donnera la confiance nécessaire à cette fin ». De même, Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du FMI, a écrit dans le Financial Times : « mener à bien le cycle de Doha serait d’une aide capitale dans la mesure où cela réduirait les barrières douanières et les distorsions de concurrence et où cela favoriserait le commerce agricole ». Finalement, le Secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría, a écrit dans l’International Herald Tribune : « Les gouvernements sont confrontés à l’affaiblissement des économies et à la flambée des prix alimentaires. Tandis que les manifestations de compassion se multiplient, une action importante et immédiate pour aider à résoudre la crise consisterait à adopter un nouvel accord commercial multilatéral ». http://www.wto.org/french/news_f/news08_f/gc_chair_tnc_7may08_f.htm ; http://www.wto.org/french/news_f/news08_f/tnc_17apr08_f.htm ; http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl88_f.htm ; http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl85_f.htm ; http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/NEWS/0,,contentMDK:21711307~pagePK:34370~piPK:42770~theSitePK:4607,00.html ; A global approach is required to tackle high food prices, Dominique Strauss-Kahn, 21 avril 2008 ; Trade Agreement Needed Now, Angel Gurría, International Herald Tribune, 25 avril 2008.

[2Les pays en développement sont passés d’une balance excédentaire de 1,9 milliard de dollars dans les années 70 à un déficit de 17,6 milliards en 2000 et de 9,3 milliards en 2004. Sauf dans le cas du Brésil, les chiffres sont encore plus frappants : le surplus commercial de produits alimentaires, qui était de 1,6 milliards de dollars, s’est transformé en un déficit de 26,1 milliards en 2004. Les importations de céréales des pays à faible revenus ont atteint 38 milliards de dollars en 2007. Les projections de la FAO montrent que le déficit commercial de produits alimentaires des pays en développement pourrait grimper à plus de 50 milliards de dollars d’ici 2030.

[3Cité par The Star Tribune.

[4Crise alimentaire : le commerce de la faim, Grain, avril 2008.



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