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note sur plusieurs rencontres sur l’eau tenues en mars 09, Yves Durrieu

Publié par , le 8 avril 2009.





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MARS 2009
Compte-rendu de rencontres

L’EAU : UN BIEN COMMUN [1]

Le 5ème Forum mondial de l’eau, qui succède à ceux de Marrakech (1997), La Haye (2000), Kyoto (2003) et Mexico (2006), s’est tenu à Istanbul du 16 au 22 mars dernier (avec 192 délégations nationales). Il a insisté, dans sa déclaration finale, sur la nécessité d’atteindre « la sécurité hydrique », d’économiser l’eau, de préserver les écosystèmes et de lutter contre les pollutions, recoupant ainsi le souci global de défendre l’environnement de la planète. Mais ce texte, suite à l’opposition des Etats-Unis, ne va pas jusqu’à proclamer « l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental », ce qui ne crée aucune obligation d’assistance et de financement aux populations qui en sont privées (un milliard d’habitants, en majorité africains, privés d’eau potable ; 2,5 milliards privés de toilette de base, égout et traitement des eaux usées), l’objectif (non contraignant) étant de réduire de moitié ces chiffres d’ici 2015. On suppose en effet que la population mondiale pourrait passer de 6 milliards à 9 milliards et que le besoin en eau potable pourrait doubler ; d’où des tensions possibles entre peuples qui voudraient s’approprier ce bien vital, surtout lorsqu’un seul fleuve dessert plusieurs pays (Niger, Nil, Tigre, Euphrate, Yang Tsé Jiang, Mékong). Les populations du Sud sont les premières victimes de ce danger qui concerne en priorité leur alimentation (l’alimentation annuelle d’un individu consomme en moyenne 3000 m3 d’eau).

Deux rencontres ont permis d’approfondir ce problème : l’une (12/03/09) à l’initiative de la Fondation France Libertés (présidée par Mme Mitterrand), l’autre (24/03/09) dans le cadre des journées du Parlement français sur l’eau.

ORGANISATION DU SERVICE PUBLIC DE L’EAU :

L’eau est un produit qui, à l’état brut, n’a pas de prix : elle est gratuite. Mais elle subit toute une chaîne de manipulations qu’il convient de rétribuer. Cette exploitation est organisée à partir des principes émanant d’une directive-cadre européenne (2000) transposée en France par une loi votée en 2006, que le Grenelle de l’environnement a quelque peu complétée.
Le réseau hydraulique est constitué d’eaux en surface (8700 Km de rivières) et d’eaux souterraines, qu’il s’agit de capter, d’assainir dans des usines, de servir aux utilisateurs par un réseau de distribution et de régénérer après usage
En France, ce réseau hydraulique est divisé en bassins régionaux, coiffés par des comités de bassin (avec des élus, des techniciens,des usagers et leurs représentants) et gérés par des agences de bassin, (auxquels on a ajouté, depuis 2006, des commissions territoriales, chargées de faire remonter les suggestions de la base). Les comités de bassin décident des travaux et des investissements nécessaires, financés par des redevances.
Le service public de l’eau est assuré par les collectivités locales, le plus souvent propriétaires du réseau de distribution, qui assurent elles-mêmes le service aux usagers (en régie) ou le délèguent à des entreprises spécialisées : en France, la délégation de pouvoir est pratiquée dans les trois quart des cas, avec comme délégataires des sociétés d’économie mixte, des PME mais surtout les trois entreprises multinationales (Veolia, Suez, Saur).Ce système a suscité plusieurs difficultés :
 quelle est la bonne taille ? La plupart des communes françaises sont trop petites pour gérer efficacement leur eau ; elles peuvent se regrouper en intercommunalité (loi de 1999) ou selon une échelle plus grande (ex. : régie de Ste Amand des Eaux qui agglomère 644 communes sous l’égide du Conseil général du Nord)
 comment éviter l’accaparement des délégations de service par les trois multinationales (qui monopolisent 80% de celles-ci et font en sorte d’obtenir en leur faveur 96% des renouvellements de concession, éventuellement en recourant au dumping pour gagner des appels d’offre) ? On peut recourir à l’autorité nationale de la concurrence s’il y a entrave à la concurrence ou abus de position dominante, à la chambre régionale de la cour des comptes en cas de non respect des règles comptables. Autres suggestions : demander l’élimination des offres notoirement trop basses résultant clairement d’une opération de dumping, refuser que, dans un département, plus de 50% des marchés ne revienne à une seule entreprise, décroiser les filiales mixtes (ex.:Veolia/Suez), enfin (à la limite) exiger le démantèlement de Veolia et de Suez ??
 comment la collectivité publique peut-elle rester maîtresse de la gestion d’un service délégué ? Elle peut dénoncer les entraves à l’information émanant du délégataire, exiger un contrôle critique du rapport annuel obligatoire du délégataire(en particulier pour débusquer les réserves non distribuées) et la présentation du compte prévisionnel annuel, comparer la somme des comptes annuels aux prévisions,exiger une présentation type de ces comptes,recourir à des cabinets d’experts rémunérés par la collectivité de rang supérieur,être particulièrement vigilante au moment du renouvellement du contrat, être attentive à l’évolution des indicateurs mesurant la gestion, comparer les pratiques à celles des autres collectivités (benchmarking), enfin réclamer la création d’une autorité nationale de régulation (en 2002, avait été envisagé un Haut Conseil de l’eau, projet oublié par les gouvernants suivants)

L’OBJECTIF : L’ACCES DE TOUS A UNE EAU DE QUALITE :

Une eau de qualité :
L’eau doit être disponible à tout moment : le service public ne supporte pas les coupures, qui ont d’ailleurs diminué fortement entre 1976 et 2003 ( à température équivalente). . Le taux de fuite sur le réseau est encore de 21% ; l’objectif est de le réduire à 15%. Quant à la dépollution de l’eau, l’objectif est différent selon qu’on utilise l’eau pour l’agriculture et l’industrie ou pour la boire. Au niveau mondial, l’agriculture utilise 7O% de l’eau consommée. On négocie avec les agriculteurs en ayant comme objectif de les faire passer d’une « agriculture raisonnée » à une « agriculture intégrée » à l’ensemble de la politique d’aménagement du territoire poursuivie par l’autorité publique ; ainsi sera-t-on amené, par exemple, à améliorer les méthodes d’irrigation afin d’éviter les gaspillages, à choisir des cultures moins utilisatrices d’eau et en harmonie avec d’autres activités ; on limitera l’usage des polluants (produits azotés, nitrates, pesticides). A cet effet, on conclura des accords avec eux pour une gestion collective du territoire, à l’image de ce qui se fait en Allemagne où l’on a le souci prioritaire de préserver la qualité des sources.
L’industrie est le second utilisateur d’eau au niveau mondial (22%) mais en Europe et aux Etats-Unis, elle dépasse l’agriculture (près de 50%). Les principaux utilisateurs industriels sont les secteurs de l’énergie, de la chimie, du papier, des mines et de l’agroalimentaire. Là également les technologies de mesure, de contrôle et de dépollution permettent de forts gains de productivité
Pour l’eau à boire, les contrôles sanitaires dans les stations d’épuration, sont particulièrement sévères (accompagnés de bulletins d’information), de même que la protection des captages d’eau potable. On doit faire face à certains risques, en particulier dus à la prolifération des réseaux privés exploités en parallèle au réseau public, à la récupération des eaux de pluie, inaptes à la consommation de bouche, et à l’utilisation des eaux de puits
Enfin, en plus de ces critères sanitaires, on se préoccupe désormais davantage de la biodiversité, avec la protection accrue des milieux aquatiques (poissons et autres corps vivants, algues) : cf. « la trame bleue » promue par le Grenelle de l’environnement
L’objectif fixé par la directive-cadre de 2000, repris par le Grenelle de l’environnement était d’obtenir en 2015 que les deux- tiers des eaux, souterraines et de surface, soient « en bon état », en distinguant l’état quantitatif, l’état écologique et l’état chimique ; on estime qu’à l’heure actuelle, 40% des eaux sont considérées comme « bonnes » et l’on espère atteindre l’objectif visé d’ici 2015. Néanmoins la France a été montrée du doigt par la Commission européenne comme dépassant les normes admises en ce qui concerne les nitrates et l’azote
L’accès de tous à l’eau :
Considérée à juste titre comme un bien commun, indispensable à tous les êtres humains, quelque soit leur degré de richesse, l’eau néanmoins n’est pas distribuée de façon égale, géographiquement et socialement, du fait que son service a un coût et que le prix de vente qui en résulte n’est pas accessible à tous. C’est pourquoi il est indispensable d’évaluer le montant des investissements en fonction de leur incidence sur ce prix de vente. Actuellement en France on estime que les dépenses devant être engagées dans le court terme doivent atteindre 2,5 milliards d’euros, tant pour les investissements nouveaux que pour le traitement des installations existantes (y compris le traitement des eaux usées). Ces dépenses doivent être inclues dans le prix de vente de l’eau, de même que les charges fixes (en particulier celles du service public et de la distribution). Or l’eau distribuée ayant diminué en quantité (y compris dans les foyers domestiques), les frais fixes tendent à coûter plus cher à chaque abonné, de sorte que, les investissements prévus étant indispensables pour ménager le moyen et le long terme, le prix de vente devrait augmenter sensiblement.
Cependant il semblerait que le rapport qualité-prix de l’eau en France se situe à un niveau acceptable pour l’ensemble de la population Mais il existe un pourcentage de la population pour lequel le prix de l’eau est trop élevé. La solution ne semble pas être dans l’assistanat social (l’aide sociale pour les plus pauvres) qui revêt un aspect discriminatoire. Pour éviter de creuser les inégalités d’une zone à l’autre, il parait souhaitable de pratiquer une péréquation tarifaire ; mais on peut s’interroger sur le niveau géographique auquel doit s’opérer celle-ci : la concession ? le département ? la région ? l’ensemble du territoire national (comme pour les usages domestiques de l’électricité) ? Certains intervenants ( fortement contestés par d’autres) préconisent de recourir partiellement à l’impôt, ce qui parait plus égalitaire, afin de rendre le règlement de la facture accessible à tous. Mais l’abaissement du prix de vente ne favorise-t-il pas le gaspillage et le renchérissement des coûts futurs ? C’est le dilemme posé pour tous les services vitaux, qui doivent être accessibles à tous, mais dont le coût doit être payé d’une façon ou d’une autre. En tout cas, divers intervenants ont reconnu que la solution consistant à préconiser la pose de compteurs individuels dans chaque logement s’est avérée erronée, tout au moins pour la distribution d’eau

La série de Forum, organisée par les grandes multinationales ,dont la 5° édition s’est déroulée à Istanbul, tranche avec le colloque de la fondation France Libertés, ne serait-ce que par le choix des sujets traités. A Istanbul, il n’a été question que des aspects techniques et économiques de la distribution de l’eau, alors que France Libertés s’est concentré, en amont, sur la délégation du service public de l’eau à ces grandes entreprises et sur les conséquences qu’ont pu observer des élus locaux et des concurrents malheureux de ceux auxquels ont été attribuées ces délégations (régies, PME, SEM) : il y a donc eu complémentarité de ces deux rencontres ; mais deux sujets y ont été t trop peu abordés : le drame de l’eau dans les pays de l’hémisphère sud et la participation souhaitable des usagers à la gestion d’un bien public


[1Le Parlement européen, dans une résolution votée en vue de ce Forum, « déclare que l’eau est un bien commun de l’humanité et qu’il devrait être un droit fondamental et universel… et non seulement un bien économique marchand soumis aux seules lois du marché »