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Découvrir la ville sans la consommer ou comment ne pas être une touriste

Publié par Chloé G, le 24 novembre 2023.

Ce texte a été publié par Chloé, diplômée ingénieure en aménagement du territoire et en philosophie de l’éthique et de l’écologie. Très engagée dans une association de solidarité internationale qui défend la réappropriation collective et démocratique de la technique, elle travaille afin de construire un droit au logement décent pour toutes et tous indépendamment de ses origines et de ses moyens. Actuellement en mission à Athènes avec l’Aitec et le réseau grec Unified initiatives against Auctions (Initiative unie contre les enchères), toutes deux membres de la Coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville.

Droit au logement et droit à la villeMouvement social et citoyen



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Qu’on apprécie ou pas les films de Cédric Klapisch, il y a une citation dans L’Auberge espagnole qui me paraît très juste et qui décrit bien mon arrivée à Athènes.

« Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective, des suites de bâtiments vides de sens. Tout est inconnu, vierge. Voilà, plus tard on aura habité cette ville, on aura marché dans ses rues, on aura été au bout des perspectives, on aura connu ses bâtiments, on y aura vécu des histoires avec des gens. Quand on aura vécu dans cette ville, cette rue on l’aura pris dix, vingt, mille fois. Au bout d’un moment, tout ça vous appartient parce qu’on y a vécu. »

Romain Duris, L’Auberge espagnole (2002), écrit par Cédric Klapisch

Athènes. Cette ville est habitée, je le vois, je l’entends, mais surtout, je le ressens. Pas seulement au sens « des gens y vivent », mais au sens de « l’habiter », c’est-à-dire l’expérience du lieu, le rapport entre soi, autrui et son environnement : on met de soi dans une ville, on la transforme de par nos façons d’agir, les lieux qu’on fréquente, les moyens qu’on utilise, les souvenirs qu’on y associe mais elle nous transforme aussi, elle laisse sur nous des empreintes invisibles. Cette ville a une odeur que je n’arrive pas encore bien à définir car elle m’est inconnue. Une odeur d’accalmie, mais aussi de quelque chose qui se prépare, qui gronde là sous nos pieds. Une odeur de café froid et de fruit trop mur, une odeur de lutte tout autant que de petit village du sud de la France en plein mois d’août. Tous mes sens sont en alerte pour ce premier voyage à travers la ville. Je veux y aller doucement, m’imprégner de chaque quartier, de chaque ambiance. Je ne veux pas consommer la ville, je ne veux pas la traverser, je veux qu’elle me traverse, je veux la laisser m’embarquer, sans attente.

La rue Kallidromiou, entre la colline de Strefi et la place principale d’Exarcheia

Comment ne pas être une touriste ? Souvent je m’empêche de prendre des photos, je n’ose pas. Je veux qu’iels croient que je suis grecque, me fondre dans le décor. Est-ce que je passe inaperçu ? Je sais pourquoi j’ai aussi mauvaise opinion des touristes, vu les impacts du tourisme de masse sur les populations. Mais est-ce que tout tourisme est obligatoirement mauvais ? Est-ce qu’il peut exister un tourisme respectueux de la vie locale ? J’ai si peur de déranger, de perturber cette scène de vie quotidienne qui se déroule sous mes yeux et à laquelle je suis étrangère.


La colline de Strefi

Aujourd’hui j’ai découvert la colline de Strefi. Une des premières choses que j’ai appris sur Athènes concernait cette colline, l’un des rares bosquets sauvages d’Athènes et le seul espace de rassemblement public librement accessible dans le quartier d’Exarcheia. Voilà ce que j’en avais lu :

« Depuis le 3 octobre 2022, la colline de Strefi est détruite par deux entreprises : la société immobilière Prodea Investments et Unison (un prestataire de services utilisé par la commune), en utilisant un plan dit de rénovation qui leur a été accordé par la commune d’Athènes. Comme c’est le cas dans le monde entier, par la privatisation directe ou indirecte des espaces publics, les collines et les places sont entièrement modifiées en sites touristiques, laissant les habitants et les habitantes hors des lieux où ils vivent et socialisent tous les jours. […] Athènes est une fois de plus la cible de gentrification autoritaire de la part de la municipalité qui utilise l’intimidation pour forcer par la transformation des espaces publics sans aucune discussion avec les habitants. »

Groupe facebook de l’association Pleistiriasmoi Stop – https://www.facebook.com/pleistiriasmoistop

J’avais tout ça en tête quand je m’avance sur les chemins sinueux de graviers. Il fait doux, mais je sens quand même l’odeur du sol, minérale, et la végétation sèche sous le soleil franc qui me rappelle la garrigue provençale. C’est ça, cette odeur, ce mélange de vie paisible et de lutte.

La vue sur Athènes depuis la colline de Strefi, le Parthénon au loin, le sol et la végétation aux odeurs chaudes de garrigue, une chaise rappelant que Strefi est avant tout un lieu de vie

Le quartier d’Exarcheia

Plus tard j’ai découvert Exarcheia. Mon arrivée dans le quartier est marquée par la vue d’un tag : « Visit Exarcheia like a local : get a job for 4€ per hour » (« Visitez Exarcheia comme un habitant local : trouvez un emploi pour 4€ de l’heure »). Je crois qu’il n’y aurait pas eu de meilleure introduction à ce quartier réputé pour être resté idéologiquement imperméable au système néolibéral.

« Exarcheia est devenu à partir de la fin des années 1970 un bastion des mouvances anarchistes grecques, lieu d’affrontements récurrent entre libertaires, manifestants et forces de police, sans perdre pour autant son identité résidentielle et familiale, mais aussi artistique »

« À Athènes, le quartier solidaire d’Exarcheia lutte pour sa survie », Reporterre, https://reporterre.net/A-Athenes-le-quartier-populaire-d-Exarcheia-lutte-pour-sa-survie

Tag vu à l’arrivée dans le quartier d’Exarcheia (« Visitez Exarcheia comme un habitant local : trouvez un emploi pour 4€ de l’heure »)

Bien sûr, je suis vite arrivée au niveau de la place principale du quartier d’Exarcheia (« Plateia Exarcheion »). J’en avais entendu parler mais ne l’ai pas reconnue tout de suite. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est le nombre de CRS locaux (« MAT ») et de policiers postés pour protéger le chantier de métro, cet encerclement de grilles et de panneaux . Lors de la rencontre de la Coalition européenne d’action pour le droit au logement et à la ville à Paris mi-novembre, le collectif athénien nous avait alerté :

« Un an de résistance massive a permis d’éviter la démolition de la place Exarcheia. Pourtant, lundi 6 novembre dernier, ATTIKO METRO, l’entreprise chargée de la construction de la station de métro sur la place, a envoyé ses ouvriers abattre les quelques 70 arbres plantés sur la place, dont certains ont plus de 50 ans ! Les habitants se sont immédiatement rassemblés pour empêcher ce massacre. Le gouvernement a envoyé la police pour les bloquer et les réprimer. Le même jour, à 18 heures, des centaines de personnes se sont rassemblées et ont défilé dans le quartier jusqu’à la place. Les travaux ont été temporairement interrompus par un procureur, suite à une plainte déposée par les habitants, mais le lendemain, les travaux ont repris malgré l’intervention de la veille. »

« From Paris to Greece – Don’t cut the trees ! », EAC, https://housingnotprofit.org/exarcheia-dont-cut-the-trees/

Photo prise mi-novembre à Paris lors de la rencontre annuelle de la EAC (European action coalition for the right to housing and to the city) en soutien aux mobilisations d’Exarcheia

Je retrouve encore ce climat de tension, de lutte, et dès que je m’avance dans les ruelles, cet esprit village, agité mais paisible. Je finis ce premier voyage toujours dans le quartier Exarcheia, dans la rue piétonne Tsamadou, devant le siège de l’association « Pleistiriasmoi Stop » qui va m’accueillir pendant ces 5 mois. J’ai rencontré quelques membres lors de la manifestation du 17 novembre, commémorant les 50 ans de la révolte des étudiant·es de l’Université Polytechnique d’Athènes.

Photo prise le 17/11/2023 lors de la manifestation commémorative des 50 ans de la révolte des étudiant·es de l’Université Polytechnique d’Athènes contre la dictature des colonels

Cet événement semble très important pour les athénien·nes, et encore plus pour les habitant·es d’Exarcheia. Après quelques discussions et recherches je comprends pourquoi :

« L’identité contestataire d’Exarcheia est née il y a un demi-siècle, lorsqu’en 1973, sous la dictature des colonels, les étudiants grecs se soulevèrent contre la junte et occupèrent l’Université polytechnique nationale d’Athènes, située à 200 mètres de la place. Les militaires y pénétrèrent par la force, faisant officiellement au moins 24 morts dans un élan de répression, quelques mois avant la chute du régime. Les événements ont eu pour conséquence l’adoption, quelques années plus tard, d’un droit d’asile universitaire — interdisant à la police d’intervenir dans les universités, sauf en cas de crime —, levé en 2019 par l’actuel Premier ministre. »

« À Athènes, le quartier solidaire d’Exarcheia lutte pour sa survie », Reporterre, https://reporterre.net/A-Athenes-le-quartier-populaire-d-Exarcheia-lutte-pour-sa-survie

Cette première visite, guidée par les luttes actuelles pour leur droit à la ville, n’est qu’un avant-goût de ce que réserve Athènes, j’ai hâte de découvrir la suite !



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